La presse musicale, ces dernières années, s'est emballée promptement pour des groupes comme Arcade Fire ou les Arctic Monkeys dont la gloire risque d'avoir tout du feu de paille. Dans le même temps, les Shins se sont constitués, lentement, une foule d'admirateurs, avant de s'imposer comme une évidence incontournable. Dans le film Garden State, Zach Braff fait dire à l’actrice Natalie Portman : « Ecoute ça : ça va changer ta vie... »
Le groupe s'est formé à Albuquerque, Nouveau-Mexique, sur les décombres de Flake. En 2001 est sorti Oh, Inverted World, qui était déjà excellent. Mais Chutes To Narrow (2003) est encore meilleur : ensoleillé, plus direct... C'est aux sixties qu'on pense. Les mélodies sont lumineuses et wilsoniennes ; la guitare, emmenée par un suppôt de George Harrison, est claire comme l'eau qui orne la pochette ; le batteur retrouve le shuffle racé qui a signalé jadis les meilleurs groupes de pop. Jamais de surcharge. Le moindre pont et le moindre solo sont essentiels. Les Shins nous montrent la voie, et elle mène résolument vers la simplicité. Mixée bien en avant, la voix de James Mercer est une merveille : voix chaude avec juste ce qu'il faut d'acidité dans les aigus (cf Brian Wilson).
Les chansons sont catchy en diable. Je ne connais personne qui puisse entendre "So Says I" sans être séduit par cette énergie communicative, qui ressuscite le merseybeat, en y ajoutant une âpreté dans le son plus proprement américaine.
"Saint-Simon" : une mélodie mid-tempo qui déploie ses méandres sur une splendide grille d'accords. C'est un des sommets de l'album. Les claviers viennent colorer les arrangements à bon escient. La chanson s'achève sur les lignes descendantes conjuguées des chœurs et des violons : le niveau est celui de la fin de "God Only Knows" (et je n'exagère pas).
Chutes To Narrow est évidemment un creuset d'influence, mais dévorées, transfigurées par une allégresse mélodique enthousiasmante. Rien ne fait saillie puisque tout est compact et nécessaire à la chanson. Sur "Fighting In A Sack" et dans une moindre mesure sur "Turn A Square", on ressent des accents garage (écouter le modèle d'économie qu'est le solo de la deuxième chanson, à 2:10). Sur "Young Pilgrims" et "Pink Bullets", c'est folk : rythmiques qui claquent et arpèges qui vibrent comme de grands espaces. "A Call To Apathy" convoque les sons de la country, avec certes l'inévitable pedal steel mais avec surtout un refrain d'une classe rare.
On termine cette ballade d'une demi-heure avec "Those To Come", qui... ne ressemble à rien (si ce n’est peut-être à Nick Drake). Un arpège entêté, une percussion qui explose au début de chaque mesure et une mélodie morne. Magnifique conclusion à cet album. Tout amateur de perfection pop à la Beach Boys sait bien que l'allégresse n'a qu'un temps et qu'elle côtoie la mélancolie.
Merci à James Mercer d'avoir osé briller dans un genre (celui de la pop débarrassée de ses power oripeaux) qui n'est pas le plus prisé à l'heure actuelle.
Un album dont aucune chanson n'est quelconque, dont la production est sans compromis et dont les paroles sont intelligentes et colorées ? Qu'attendez-vous pour l'acheter et pour soutenir la musique indé ?
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