Rubber Soul - Beatles (The) (1965)


1. "Drive My Car"
2. "Norwegian Wood (This Bird Has Flown)"
3. "You Won't See Me"
4. "Nowhere Man"
5. "Think For Yourself" (Harrison)
6. "The Word"
7. "Michelle"
8. "What Goes On" (Lennon-McCartney-Starkey)
9. "Girl"
10. "I'm Looking Through You"
11. "In My Life"
12. "Wait"
13. "If I Needed Someone" (Harrison)
14. "Run For Your Life"

 

Premier grand album des Beatles, et celui pour lequel, à titre personnel, j'ai le plus d'affection. Les chansons de Rubber Soul, dans leur dépouillement et leur perfection, atteignent à une espèce d'épure, en sorte qu'on pourrait parler de période classique des Beatles.

Il n'y a pas un mauvais titre sur Rubber Soul. George y trouve pour la première fois un style propre, notamment à l'acoustique.

Les deux monuments sont l'oeuvre de John : "Girl" et "In My Life". Moments d'épanchement privilégiés, premières grandes ballades lennoniennes. "Girl", en particulier, a des accents mélancoliques très touchants. John qui, dans l'album précédent, appelait à l'aide, est ici en quête d'une main féminine secourable. Le jeu de George, qui accompagne John discrètement (ce n'était pas pour rien le "quiet Beatle" !), est de toute beauté. Quant à "In My Life", c'est un regard presque épitaphique porté sur les gens que John a connus et aimés. Virée liverpudlienne depuis Menlove Avenue jusqu'aux docks. A signaler : un solo de clavecin (en fait du piano au son trafiqué) joué par George Martin...

La présence du clavecin n'est pas pour étonner. Rubber Soul est un album de transition, ou plutôt de conciliation : équilibre parfait entre le triomphe de la mélodie, qui caractérisait les livraisons antérieures, et les expérimentations naissantes.

"Norvegian Wood", par exemple, est une des chansons fondatrices du psychédélisme. Il flotte sur cette chanson des effluves singulières, en partie redevables aux sonorités du sitar (première utilisation par George de cet instrument, qui deviendra un poncif de la musique psyché). Mais là où certains ne retiendront que la parure, oubliant qu'une chanson doit avoir un corps, les Beatles se surpassent pour tresser des mélodies à la fois mémorables et suggestives. Le refrain en choeur ("She told me to stay...") est une merveille, à laquelle un accord mineur inattendu donne une couleur mystèrieuse opportune. Ecoutez le refrain de "We Can Work It Out" : c'était déjà la même chose, un refrain en mineur admirablement suggestif. On a dit de Schubert que c'était un peintre du clair-obscur, en raison de ses incessantes modulations entre mode majeur et mode mineur. J'attends qu'on dise la même chose de John...

Il y a bien sûr d'autres chansons marquantes dans cet album :
- "Drive My Car". Son riff de basse doublé par la guitare crunchy de George... son refrain bien connu ponctué d'accords de piano... ses paroles pleines d'humour...
- "Nowhere Man" : l'homme de nulle part... Encore une illustration du fait que John était en pleine détresse à l'époque.
- "Michelle" : c'est archi-connu, les paroles sont naïves, mais ça reste néanmoins du bel ouvrage. Grille d'accord jazz, excellente ligne de basse, solo très bien composé, saturé de graves.
- Les chansons de George sont supérieures à ce qu'il faisait jusqu'alors. "If I Needed Someone", avec ses arpèges byrdsiens, fut la seule chanson d'Harrison à être interprêtée lors de concerts des Beatles. J'ai pour ma part une préférence pour "Think For Yourself", qui est rehaussée par la basse fuzz de Paul (première utilisation : cet album est décidément l'occasion de beaucoup de premières).
- "Wait", qui devait à l'origine sortir sur "Help", a des couplets, des refrains et des ponts bien écrits (couplets et refrains par John ; ponts par Paul) et montre, une nouvelle fois, une grande science de l'éclairage d'une chanson par des arrangements judicieux (ils sont pourtant simples, avec seulement guitare, basse et batterie).
- "Run For Your Life" : chanson de John emportée par un rythme rockabilly très jouissif. George, dont la chanson était une des favorites, se déchaîne à la guitare. Bons sentiments et rock ne font pas forcément bon ménage : les paroles sont très misogynes et John s'en repentirait plus tard. On préfère, disons-le, le John "d'avant".

Rubber Soul, au final, apparaît comme un album absolument indispensable. C'est un des cinq albums majeurs des Beatles, et c'est le favori de beaucoup de beatlesmaniaques. 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr