Let It Be - Replacements (The) (1984)


1. "I Will Dare" – 3:18
2. "Favorite Thing" – 2:19
3. "We're Comin' Out" – 2:21
4. "Tommy Gets His Tonsils Out" – 1:53
5. "Androgynous" – 3:11
6. "Black Diamond" – 2:40
7. "Unsatisfied" – 4:01
8. "Seen Your Video" – 3:08
9. "Gary's Got a Boner" – 2:28
10. "Sixteen Blue" – 4:24
11. "Answering Machine" – 3:40

 

Minneapolis. Deux millions d'habitants en y ajoutant Saint-Paul. Cette mégalopole est sise en plein Middlewest. Démonstration est faite que l'Amérique profonde a aussi de bonnes choses à nous apporter, car les groupes qu'elle a enfantés ne sont pas de la piquette : Hüsker Dü et les Replacements. Ces groupes inspirés par la vague hardcore s'avérèrent être parmi les meilleurs de la scène alternative américaine des années 80. Point commun : ils surent intégrer des mélodies dans leur cocktail explosif.

Mais les Replacements sont à placer au-dessus de Hüsker Dü, n'en déplaise pas aux fans de Bob Mould. Il y avait du talent chez Hüsker Dü, mais les albums du groupe n'ont jamais eu la concentration ni l'efficacité de ceux des Replacements. Et puis, n'ayons pas peur des mots : Paul Westerberg est un songwriter de première classe, et il n'est pas donné à tout le monde de l'égaler.

Après deux albums bouillonnants et frais, mêlant blues, power-pop et punk, les Replacements se sont attirés les faveurs des critiques. Ils se sont aussi taillé la réputation d'un groupe ingérable. Selon la quantité d'alcool ingérée, ils pouvaient être le meilleur ou le pire des groupes. Lors de leur légendaire concert au CBGB, ils décidèrent de se ranger dans la seconde catégorie, en chantant "Fuck School" sur l'air de "Let It Be" des Beatles !

Mais jeunesse se passe... En 1984, les Replacements, sans rien perdre de leur enthousiasmante fraîcheur, se disciplinent et livrent un album exceptionnel, auquel le très sévère critique Robert Christgau donnera la note maximale (A+).

La chanson inaugurale de l'album, "I Will Dare", sans doute la chanson des Replacements la plus connue, met tout de suite les choses au point, grâce à un riff génial. Deux choses frappent l'oreille : le jeu de guitare cinglant de Bob Stinson (responsable du département rock chez les Replacements) et l'organe rauque de Paul Westerberg (le songwriter, qui développera vite une sensibilité plus pop). Ces deux-là se complètent parfaitement. A noter que le guitariste de REM, Peter Buck, intervient sur ce titre.

"Favorite Thing", c'est du punk mélodieux, à la Buzzcocks, du punk qui ne rechigne pas aux cassures de rythmes et qui ne rougit pas d'intégrer des choeurs jouissifs. Ces gens-là étaient sans doute moins calculateurs que leurs contemporains de New-York et Londres, mais ils avaient plaisir à jouer, et ça s'entend.

"We're Coming Out" : encore du punk, mais frénétique, dévalé à toute berzingue... La coda fait entrer la chanson dans une autre dimension : le riff se ralentit, se déglingue, se laisse parasiter par un piano, avant d'être emporté par le crescendo final.

"Tommy Gets His Tonsils Out" : où quand le punk se fait déjanté... C'est une pochade, un éclat de rire général dont fait les frais Tommy Stinson, le bassiste, qui avait peur des dentistes. Les guitares sont acérées comme on aime.

Après ces morceaux violents, Westerberg dévoile une facette plus intimiste avec "Androgynous", une ballade qu'il interprète au piano et qui a des airs d'hymne. Comme le titre l'indique, il est question de l'ambiguité sexuelle.

"Black Diamond" nous emmène vers des contrées plus violentes. Le son de la guitare rythmique et le solo ultra-rapide évoquent le heavy metal popularisé par Black Sabbath ! C'est normal : c'est une reprise de Kiss... C'est sans doute la chanson dont l'opportunité est la plus discutable. Il n'y a pas de vraie faute de goût sur cet album, mais avec cette chanson on a été très près d'y tomber.

"Unsatisfied", qui ouvre la deuxième face, est une merveilleuse chanson, où Westerberg fait admirer sa voix écorchée, par-dessus un entrelacs d'arpèges carillonnants. A certains moments, la guitare sonne comme du violon... Jamais la tradition pop et la tradition hardcore n'ont été mieux mêlées. Westerberg était un écorché. Pas un Cobain, mais presque.

"Seen Your Video" est une offrande faite à Tim Stinson. Cette chanson presque instrumentale fait la part belle aux riffs-arpèges de Stinson (qui retrouve les secrets du rockabilly, la violence dans le son en plus), qui sont canalisés par une section rythmique bien balancée. Et quand Westerberg vient ajouter sa voix déchirée, la chanson s'envole...

"Gary's Got A Buner" recueille le blues-rock auxquels les Replacements avaient tâté dans leurs précédents albums. Ca semble un hommage à la musique des seventies, celle de T-Rex et celle de Ted Nugent, entre autres.

"Sixteen Blue" est une ballade avec arpèges de guitare et voix maladive. J'ai du mal à croire que Radiohead ne soit pas approprié une part de l'héritage des Replacements à l'écoute de certaines chansons de Pablo Honey. Même le passage caractéristique de majeur à mineur suggère une parenté...

"Answering Machine" a une rythmique de guitare machinale (hé oui...) où se révèle une fois encore l'originalité de Stinson, qui mêle power chords et arpèges. La guitare de Stinson et la voix de Westerberg constituent la chanson presque à elles seules (il y a une batterie insolite et des voix synthétiques à la fin, qui sont d'ailleurs bienvenues).

Bref, un très bel album, dense et jouissif. Au lieu de faire mumuse avec des synthétiseurs, comme tant d'autres à l'époque, Westerberg se préoccupait d'écrire de bonnes chansons. Grâce lui soit rendue. L'album suivant, le premier des Replacements à être réalisé pour une major, sera, lui aussi, acclamé par une partie de la critique. Mais il est bien moins bon, bien moins frais que Let It Be

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr