Nous avons déjà traité, dans une notice séparée, du Reggatta De Blanc, un monument punk-reggae des années 70. Synchronicity, qui est très différent, est tout aussi essentiel. Cet album est même considéré par beaucoup comme le meilleur de The Police.
Dans cet album, le travail du son a été porté à un niveau époustouflant. Les trois musiciens voient leurs sons traités électroniquement, y compris Sting (qui utilise une contrebasse électrique sur "Every Breath You Take"). Il y avait déjà eu des tentatives électroniques sur le précédent album, Ghosts In The Machine, avec des chansons comme "Invisible Sun", qui allait jusqu'à flirter avec les climats de Kraftwerk. Mais l'album n'était qu'à demi-convaincant, et The Police paraissait à l'étroit dans ce corset d'emprunt. Cette fois, The Police trouve un son qui lui est propre. Ce ne sont plus les lourdes nappes urbaines héritées de la musique allemande ; c'est une atmosphère aérienne qui évoque plutôt les grands espaces du continent noir.
La conquête de ce son n'a pas été sans mal. Alors que le rythme de parution des premiers albums était régulier (un album par an), il a fallu deux ans avant que ce cinquième et dernier album de The Police ne vienne prendre la succession de Ghosts In The Machine dans les bacs. Et ces deux années ont été obscurcies par les tensions et les rumeurs de split. Le résultat, cependant, est exceptionnel. C'est l'album de The Police le plus dense et le plus cohérent, avec des chansons qui reflètent les préoccupations de Sting à l'époque (la "synchronicité" est un concept psychanalatique développé par Carl Gustav Jung).
L'album s'ouvre, logiquement, sur la chanson-titre, "Synchronicity". C'est une chanson habilement composée, avec des paroles au style télégraphique et des phrases mélodiques qui se répètent en canon sur le refrain, par une sorte de mimétisme censé illustrer la loi de synchronicité. Quant au background musical, il est dessiné par un séquenceur qu'on jugerait tout droit sorti de l'esprit d'un Terry Riley sous amphétamines.
Cette chanson a une ambiance parfaitement compatible avec celle de la deuxième chanson, "Walking For Your Footsteps", elle aussi souvent reprise en concert. Cette fois, on pense plutôt à Brian Eno. Sur un fond percussif, déchiré parfois par des guitares stridentes, Sting chante la mélopée. Sa voix, très pure, a ici quelque chose d'africain. Les intentions primitivistes ne sont pas immotivées : les pas, ce sont ceux des dinosaures, dont la disparition fut subite... Et ceux qui marchent dans ces pas, ce sont les hommes. Plaidoyer évident pour la dénucléarisation.
Riley, Eno : ces noms confirment qu'au berceau de l'album, la fée innovation était au rendez-vous.
"O My God" est un doigt d'honneur adressé à qui vous savez. Comme quoi les réflexes punk ne sont pas totalement morts... Un riff de basse qui évoque en partie (mais en partie seulement) le "Day Tripper" des Beatles, des climats synthétiques... Fin étrange avec un sax free jazz qui résonne.
C'est une parfaite amorce pour la quatrième chanson. Sting a laissé de l'espace à la fin de la première face à ses comparses. Le "Mother" d'Andy Summers a été beaucoup critiqué. Certains le qualifient de terrifiant. Z'ont pas dû écouter souvent "Frankie Teardrop" de Suicide... Et s'ils l'ont écouté, peuvent-ils expliquer pourquoi ce qui serait permis à Suicide serait interdit à Police ? D'autres critiquent la voix de Summers, qui trouve ici des accents à la David Byrne. Z'ont pas dû comprendre que cette voix-là n'aspirait pas à être belle. Pas dans une chanson comme ça. A moi, "Mother" me plaît bien. Le fond sonore est hallucinant. Le solo navigue dans des eaux proches de celles de "Golden Hours" sur Another Green World. Après Jung, c'est Freud qui est convoqué, Summers réglant de manière humoristique des comptes avec sa mère.
"Miss Gradenko" clôt la première face. Stewart Copeland en est l'auteur. Basse rythmée, arpèges de guitare... On retrouve les terres évoquées pour "Walking For Your Footsteps", avec un parfum de Sénégal. Ce n'est pas désagréable du tout. Le refrain, tout simple, avec un chant à l'unisson avec la basse et la guitare, fait mouche à chaque fois. Et Summers nous gratifie d'un excellent solo.
Avant d'aborder la seconde face, on se sent obligé de se découvrir. Les cinq chansons à venir sont impressionnantes, les quatre premières ayant été largement diffusées sur les ondes. Ca ne les rend pas nécessairement supérieures à celles de la face A.
Tout d'abord vient "Synchronicity II", qui ouvre la seconde face comme "Synchronicity I" ouvrait la première. C'est peut-être le meilleur morceau de The Police. C'est un morceau classiquement rock. Le couple couplet-refrain ne se compose pas moins de quatre sections différentes, toutes enchaînées admirablement au moyen d'accords et de plans incisifs.
"Every Breath You Take" est si connue qu'on n'en dira rien, si ce n'est que la chanson a été victime d'un malentendu. Ce n'est pas du tout une chanson d'amour convenue, mais bel et bien quelque chose de dérangeant : le personnage qui parle prévient son ex-fiancée qu'où qu'elle aille il sera là, comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Un psychopathe ! Pour le reste, voilà une chanson très bien composée. Même le pont est soigné.
"King Of Pain", chanson déprimée, bénéficie d'une belle mélodie de Sting et d'arrangements ajourés comme sur les deux premières chansons de l'album. Refrain puissant, avec guitares.
"Wrapped Around Your Finger" est la chanson de l'album qui se ressent le plus de l'époque de sa création. C'est une ballade mid-tempo. On regrette un peu de voir Summers et Copeland réduits au rôle d'accompagnateurs de Sting. Néanmoins, pour l'heure, ce n'est pas encore soupesque. Ces trois-là ne sont pas Genesis.
"Tea In The Sahara" baigne dans l'espace. La basse est très intermittente. La mélodie est sinueuse comme dans un slow jazzy. Ici, ce ne sont pas les climats artificiels créés par Andy Summers qui protègent la chanson de l'écueil de la mollesse, mais les battements de charleston de Copeland placés très en avant, comme jadis dans "Walking On The Moon".
L'album se termine normalement là, mais une chanson a été ajoutée sur le pressage CD. Il s'agit de "Murder By Numbers", qui était à l'origine une face B. C'est une chanson tout à fait décente, à laquelle des accords de guitare bourrés de chorus donnent un parfum très jazz.
Album à acheter ! Y a-t-il tant d'albums des années 80 qui méritent de lui passer devant ?
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