Il y a des groupes qui traversent leur époque en subissant le mépris, avant de connaître une gloire posthume. Et il y a des groupes dont la trajectoire est précisément inverse. Je crains que ça soit le cas pour The Police. Aujourd'hui, pour beaucoup d'amateurs de pop, aimer un tel groupe est presque inavouable. C'est une chose que je ne conçois pas. Qu'est-ce qu'il peut bien y avoir de si honteux dans cette musique ?
Les chansons de The Police sont pourtant bien écrites et elles ont connu un succès mérité. A l'époque, on établissait des comparaisons avec les Beatles. Ca, c'est pour le succès populaire.
The Police s'est pendant longtemps attiré également les suffrages des critiques de rock. Les premiers albums mixaient punk et dub, à la façon de The Clash ou des Specials. En conséquence, on ne voit pas bien pourquoi les Specials seraient in et The Police out.
Les "techniciens" (pour autant que leur avis importe) en ont, eux aussi, pour leur argent, puisque Police réunissait trois instrumentistes d'exception. Stewart Copeland est encore aujourd'hui une référence pour beaucoup de batteurs, Andy Summers était un guitariste chevronné et ne rechignant pas à l'expérimentation, et Sting était (et est encore) un excellent musicien, doté d'une bonne oreille et formé au jazz.
J'en conclus que le seul problème (outre peut-être une allergie à la personnalité de Sting, critère qui ne devrait même pas être mentionné), c'est la popularité du groupe : Police a vendu trop d'albums pour rester fréquentable. Je suis d'accord sur le fait qu'un succès populaire massif peut parfois être synonyme de compromissions. Mais dans le cas qui nous regarde, en-dehors de quelques ratés regrettables, comme "De Do Do Do, De Da Da Da", on ne peut pas dire qu'il y ait eu recherche de la pente la plus facile. Certaines chansons sont même très audacieuses : il n'y a qu'à écouter "Mother", sur le dernier album, pour s'en convaincre.
Venons-en à l'objet de cette chronique. En 1978, The Police publie un premier album, Outlandos D'Amour, qui rencontre un grand succès et contient moult hits. Les chansons sont fraîches et elles associent l'énergie du punk à des rythmiques reggae. L'album est bon, mais est plombé par ses dernières chansons, après un départ sans faute (sept excellentes chansons). La huitième a un refrain à la mélodie trop facile. Les deux dernières sont franchement médiocres. C'est la raison pour laquelle je ne traite pas de cet album ici. Sa palette stylistique est de toute façon un peu trop réduite pour qu'il puisse être considéré comme un classique.
Quand paraît Reggatta De Blanc, The Police devient un phénomène mondial. Cet album étend les conquètes du premier, à tous les niveaux. Il est plus complexe rythmiquement et harmoniquement. Et il est bien plus varié.
Onze chansons, toutes intéressantes, composent cet album. Les deux plus grands succès en sont "Message In A Bottle" (emmené par un riff original et par une basse puissante) et "Walking On The Moon", qui est extraordinaire. Sting ne cherche plus l'émotion facile dans ses paroles, comme avec "Roxane" ou "Can't Stand Losing You". Dans le premier de ces deux titres, un naufragé lance une bouteille à la mer ; il en recevra des millions d'autres avec ce message : "Et alors ? Moi aussi !". Le symbole est peut-être aisé, mais il est universel. Quant à "Walking On The Moon"... Cette chanson signale mieux qu'aucune autre les progrès accomplis : Andy Summers donne désormais libre cours à ses tentations expérimentales, trafiquant les sons de sa guitare ; Stewart Copeland, lui, fait de la batterie un instrument soliste à part entière. Les sons qu'il en tire sont beaux et multiples, lorgnant souvent du côté de la musique africaine. Ajoutez à cela un refrain très mélodieux, et vous aurez compris que "Walking On The Moon" est une chanson mémorable - ce que vous saviez déjà sûrement.
La texture musicale est encore plus ajourée dans le poignant "Bed's Too Big Without You". Pourquoi trouer l'espace ainsi ? Pour mieux matéraliser l'absence ? La rythmique guitaristique est reggae ; la basse revient par intervalles, tombant à chaque fois dans les profondeurs ; entre temps, c'est Copeland qui meuble en tapant sur tous ses fûts. Cet homme ne bat pas : il compose avec sa batterie.
Je vous l'ai dit : l'album est très varié. On trouve d'autres succès, comme "Bring On The Night", qui doit son ambiance mystérieuse aux arpèges joués par Summers (et qui contient une guitare lead presque bruitiste). Très belle mélodie. On trouve aussi des chansons ayant l'énergie du punk, comme sur le premier album : "It's Alright For You" et "On Any Other Day" (plus reggae, avec une belle ligne de basse). Summers donne des atmosphères lunaires aux chansons expérimentales "Reggatta De Blanc" (qui renferme le futur cri de guerre de Police : "Yio...") et "Deathwish".
L'album se clôt sur trois chansons inclassables, qui montrent à quel point The Police a élargi son territoire. "Contact" est peut-être ma chanson préférée. Pendant les couplets s'étire une basse mouvante comme une contrebasse de jazz. Puis la basse devient fixe, mais c'est pour mieux laisser place à des strates de guitares au son inouï. "Does Everyone" s'ouvre sur des accords étonnants martelés au piano. Ca n'empêche pas la mélodie d'être remarquable. Enfin, "No Time This Time" est emmenée par un riff de guitare frénétique. Le chant est tout aussi agité. Cette chanson, rescapée des séances de l'album précédent, s'intègre parfaitement à cet album-ci.
Reggatta De Blanc, meilleur album de The Police, est incontournable.
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