Without You I'm Nothing - Placebo (1998)


1. "Pure Morning" – 4:14
2. "Brick Shithouse" – 3:18
3. "You Don't Care About Us" – 3:58
4. "Ask For Answers" – 5:19
5. "Without You I'm Nothing" – 4:08
6. "Allergic (To Thoughts of Mother Earth)" – 3:49
7. "The Crawl" – 2:59
8. "Every You Every Me" – 3:33
9. "My Sweet Prince" – 5:45
10. "Summer's Gone" – 3:05
11. "Scared of Girls" – 2:58
12. "Burger Queen" – 22:39

 

Les seuls albums de Placebo qui puissent sérieusement être recommandés sont les deux premiers. Après, ça devient commercial et très prévisible.

Without You I'm Nothing est un peu le Doolittle de Placebo. Il est plus réfléchi et mieux produit que le premier album, qui avait fait beaucoup de bruit. En même temps, il est plus personnel. Au moment de l'enregistrement de Without You I'm Nothing, Brian Molko traversait une période très difficile : dépression, drogues... Ca s'entend : la coloration de l'album est résolument noire.

Et comme, musicalement, Placebo s'est abreuvé aux courants les plus post-modernes (Joy Division, Sonic Youth, les Pixies notamment), Without You I'm Nothing se donne des airs de peinture arty de la folie et de la violence contemporaines ; on peut sans crainte du ridicule le comparer aux albums de Radiohead.

La premiere chanson, "Pure Morning", symbolise toute la différence entre 1996, année du premier album, et 1998 : on nous décrit bien une soirée alcoolisée, comme naguère, mais tout est pris dans un rythme mécanique, forcé, voire malsain. La batterie, répétitive, lorgne du côté des beats les plus déshumanisés. La guitare est bruitiste. Without You I'm Nothing est un album de gueules de bois, un album nauséeux et migraineux.

Je suis pour ma part très impressionné par le travail sonore qui a été effectué sur les guitares. Elles sonnent comme des scratches de hip-pop, alors même que se font entendre des voix robotiques en arrière-plan... Cf "Brick Shithouse". La suite de la chanson est plus conforme à ce que peut attendre un amateur récent de Placebo : guitares rapides et puissantes.

L'album comprend une chanson-fantôme, qui confirme l'intérêt de Placebo pour les guitares bruitistes et les samples. C'est presque une mise à jour de la "ghost song" qui clôturait l'emblématique Never Mind. On y entend des arpèges, une rythmique metal... Mais le monde que décrit cette chanson sans paroles est bien plus désincarné. La seule voix qui y résonne est celle d'un sample.

Le rock sauvage, cela dit, n'a pas été oublié. Dans ce genre, on peut citer "Every You Every Me", qui est une très grande réussite.

Mais les chansons pour lesquelles j'ai une préférences, ce sont les ballades sombres et désenchantées, comme "Ask For Answers" (avec sa guitare hallucinante sur le refrain) ou "My Sweet Prince". Les arpèges, la voix, le piano sont rendus fantômatiques par la réverbération qui renvoie de pauvres échos, comme si la chanson avait été enregistrée dans un hall désaffecté. Chanson homosexuelle qui illustre bien les influences glam dont on parle tant (trop) au sujet de Placebo. Il y a dans ces paroles un spleen baudelairien (Molko est grand lecteur de Baudelaire) qui nous rappelle combien Placebo est influencé par la décadence continentale. N'oublions pas que les deux fondateurs de Placebo ont vécu sur le continent : Molko au Luxembourg, Olsdal en Suède...

Terminons par la chanson-titre. Elle synthétise les deux courants les plus voyants de l'album : le goût pour les ballades décadentes et le bruitisme furieux. Cette chanson, lente, désolée, est accompagnée par une guitare qui hurle comme une sirène. Le solo de Molko, spontané et partant en vrille, est le plus beau solo qu'il ait jamais livré. David Bowie chante le pont avec Molko : "Tic-tac...". Il couvrira d'ailleurs le groupe d'éloge, lui prédisant un destin parmi les plus grands.

Dans plusieurs décennies, on écoutera cet album avec tout autant de surprise : comment ces trois gars ont-ils pu se surpasser à ce point-là ? Après un tel album, on ne peut que redescendre... 

              Damien Berdot
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