Pink Moon - Drake, Nick (1972)


1. "Pink Moon" – 2:06
2. "Place to Be" – 2:43
3. "Road" – 2:02
4. "Which Will" – 2:58
5. "Horn" – 1:23
6. "Things Behind the Sun" – 3:57
7. "Know" – 2:26
8. "Parasite" – 3:36
9. "Free Ride" – 3:06
10. "Harvest Breed" – 1:37
11. "From the Morning" – 2:30

 

Nous avons déjà recommandé, de Nick Drake, Five Leaves Left, album dont les séances d'enregistrement avaient duré près d'un an, et qui aurait mérité le qualificatif de surproduit si les arrangements de cordes de Robert Kirby n'avaient été si délicats.

Arrive maintenant ce Pink Moon terrifiant, bien différent dans son extrême nudité. Ce disque suinte la détresse terminale, annonçant la mort par (probable) suicide de Nick Drake. Il a été enregistré en deux nuits et est fait de peu : il n'y a même plus d'instrumentistes en dehors de Nick Drake ; il y a des chansons sans paroles, d'autres faites de phrases hachées, scandées... Ces chansons sont d'autant plus poignantes que chaque mot a été arraché à la dépression. C'est à une raréfaction du langage et à une impossibilité d'écrire que Nick Drake eut à faire face, pendant les mois précédant l'enregistrement de Pink Moon. Il écrivit à une amie : "Je n'arrive plus à faire face."

Grand disque maladif, Pink Moon est à ranger sur une étagère, aux côtés d'Oar de Skip Spence, de Third / Sister Lovers de Big Star, des albums de Syd Barrett, des dernières productions de Rocky Erickson... Peter Buck, de REM, le compara au "Hellbound On My Trail" (les chiens de l'enfer sur mes traces) de Robert Johnson.

Cette dernière comparaison est assez juste. Alors que Fives Leaves Left était classiquement beau, soigné dans ses moindres détails, ici, c'est à un album de blues anglais qu'on a affaire. La musique, évidemment, n'a rien à voir avec le blues. C'est folk.

La chanson-titre est à l'image du délabrement de l'album. Les paroles ? Cinq vers seulement. Il y est question d'une lune menaçante. La mélodie vocale ? Superbe, au point d'être reprise - ô paradoxe ! - dans une publicité. Le solo ? Une mélodie tombante au piano, qui pourrait être jouée avec un seul doigt.

Certaines chansons ressemblent, par leur structure, par leur style guitaristique riche, à ce que faisait Nick Drake jadis : "Place To Be", "Which Will", "Things Behind The Sun", "From The Morning"... Elles sont juste plus désincarnées, plus désenchantées. Nick Drake n'a que vingt-quatre ans, mais il paraît déjà crouler sous le poids des souvenirs. "When I was young, younger than before", chante-t-il dans "Place To Be". De ces chansons intenses, "Parasite" me paraît être la plus extraordinaire. Ca commence comme ça : "Lifting the mask from a local clown / Feeling down like him". Qu'est-ce ? Une version déglinguée du "Desolation Row" de Dylan ? Les arpèges confèrent à la chanson une atmosphère supernaturaliste saisissante.

Et puis il y a des chansons qui donnent à penser que Nick Drake, avant de mourir, retrouve le sens du blues, mais en empruntant une autre voie : "Free Ride", "Road"... On trouve là des semblants de riff et des unissons relatifs entre guitare et chant, à l'instar des bluesmen du Delta comme Fred McDowell. C'est très beau.

Enfin, il y a des choses qui ne ressemblent à rien, et qui ne peuvent être appelées chansons. "Horn" n'a pas de chant. Pourquoi ce titre, "horn" ? Il n'y a pas de cor dans cette chanson : juste une guitare percée. Et si c'est un avertissement, de quoi veut nous avertir Nick Drake ? De l'approche de la fin du parcours (pour lui-même) ? Je compare justement cette chanson au lied "Der Leiermann", de Schubert, qui clôt le Voyage d'hiver. Dans les deux cas, on entend une imitation dérisoire d'un instrument absent : le cor chez Nick Drake, un violon pitoyable chez Schubert.

Quant à "Know", il fallait oser déposer ça sur la bande. Un riff acoustique qui grince est répété tout au long de la "chanson" ; Nick Drake fait hmm-hmm avant d'entonner quelques pauvres phrases et de dire qu'il n'est pas là...

C'est évidemment dérangeant. Mais ne pas s'y tromper : Pink Moon est mélodieux de bout en bout. Son auréole légendaire n'est pas usurpée. 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr