Dark Side Of The Moon, vendu à plus de 30 millions d'exemplaires (quatrième meilleure vente de l'histoire, tous albums confondus) est l'album qui a créé le phénomène Pink Floyd. Son impact fut tel que Pink Floyd eut toutes les peines du monde à lui donner une suite : un album entier fut enregistré puis détruit. Entre autres conséquences du succès de Dark Side, il y aura la désintégration du groupe (l'enregistrement de Wish You Were Here sera marqué par les tensions), la complaisance dans la médiocrité, qui aboutira à la sortie de The Wall (album très surcoté), puis la séparation finale (ou presque).
Avant tout, il faut se mettre d'accord sur la signification de cet album dans la carrière de Pink Floyd. Ce n'est pas le chef d'oeuvre ultime du groupe ; c'est juste le chef d'oeuvre du second Pink Floyd, celui de Roger Waters. Avant cela, il y avait eu le Pink Floyd de Syd Barrett, dont on parle ailleurs sur ce site. Ce premier Pink Floyd produisait une musique psychédélique (faite de petites comptines, d'enchaînements d'accords surprenants, etc.) ; le second Pink Floyd, quant à lui, inventa la musique planante.
Dark Side Of The Moon doit être vu comme la somme de plusieurs perfections. Perfection graphique, tout d'abord : la pochette réalisée par Psygnosis, avec son fond noir sur lequel scintille un prisme, constitue un écrin parfait à ce disque en clair-obscur. Perfection sonore, ensuite : l'ingénieur Alan Parsons a enregistré chaque piste séparément, avec la méticulosité la plus extrême, avant de mixer er le tout sur un 24 pistes (chose nouvelle pour l'époque). De ce fait, pendant des années, Dark Side Of The Moon a été considéré comme l'album parfait pour tester les chaînes hi-fi. Par bonheur, il a d'autres atouts à faire valoir... Les paroles, en effet, réunies sous la bannière du titre lunaire, donnent vie, par leurs images, à un univers assez inquiétant. Elles évoquent tour à tour la vieillesse ("Time"), l'obsession de l'argent ("Money"), la folie ("Brain Damage")...
Quant à la musique, elle est exactement ce qu'on peut attendre d'une musique dite planante. La guitare de David Gilmour, passée à travers des chambres d'échos, déploie ses arpèges cristallins. Les claviers de Rick Wright se posent en nappes impressionnistes. Les morceaux, en eux-mêmes, n'ont rien d'extraordinaire, harmoniquement parlant. Ils sont pourtant redoutables d'efficacité. Ils suscitent leur flot d'images (en accord avec les paroles) et prennent l'auditeur dans leurs rets.
Décrivons brièvement les chansons. "Speak To Me" est une simple introduction à l'album, et notamment à la chanson qui la suit ; elle est constituée d'une série de bruitages (les battements du coeur de Nick Mason, qu'on peut entendre à la fin de "Eclipse", les bruits d'horloge de "Time", etc.). "Speak To Me", qui doit son titre au fait qu'elle inclut des bribes de conversation entre les membres du groupe, s'enchaîne sans pause à "Breathe". Chanson typique du Pink Floyd planant. Les sonorités aiguës de la slide de Gilmour résonnent sporadiquement. C'est également Gilmour qui chante, bien entendu. Un vieillard intime à un nouveau-né de respirer" (titre de la chanson). Plus tard, il devra se consacrer au travail.
La pièce suivante, "On The Run", est exclusivement instrumentale. Les arabesques synthétiques dessinées par le VCS3 de Wright sont assez réussies pour créer un univers à la technologie oppressante. Impression de plongée post-moderniste garantie. Dans les premières représentations (avant même la sortie de l'album en disque), la pièce était intitulée "The Travel Section". Il est en effet question des pressions du voyage, que Rick Wright associait à l'idée de mort. Pour cette raison, on peut entendre des passages de synthé déformé par le Doppler, et censés évoquer le bruit d'un véhicule traversant la rue. A la fin de la chanson surgit un bruit d'explosion, avant qu'un tic-tac d'horloge n'annonce la chanson "Time".
Cette chanson-ci est vocale, et est le pendant de "Breathe". Il n'est plus question de nouveaux-nés, mais de vieillesse... A la fin de la chanson, de reste, il y a une reprise de "Breathe".
"The Great Gig In The Sky" est constituée par une improvisation vocale de Clare Terry, sur un fond musical essentiellement réalisé par Rick Wright. On avait dit à Clare Terry d'improviser en pensant à l'horreur et à la mort...
Deuxième face. Elle s'ouvre par l'ultra-connu "Money", le titre le plus commercial de l'album, dont certains pensent qu'il en brise l'unité... A voir. Il est rare, cela dit, de connaître le succès par le biais d'un rythme en 7/4 !
"Us And Them" voit le retour des arpèges de guitare. La masse instrumentale est étonnamment ajourée. La voix semble se réverbérer sur les parois du studio. La pièce dure près de 8 minutes, qui plus est, ce qui donne une impression de suspension du temps. Mélodiquement, "Us And Them", avec ses couplets planants et ses refrains puissants (en choeur), est une réussite
"Brain Damage", écrite et chantée par Roger Waters, est la chanson la plus simple de l'album. Serait-ce par voie de conséquence son coeur ? Elle contient ces mots célèbres : "The lunatic is on the grass". Roger Waters a reconnu qu'il s'agissait d'une allusion à la folie de Syd Barrett, qui semble l'avoir particulièrement marquée (on dit qu'il a éclaté en larmes pendant l'enregistrement de Wish You Were Here, quand Syd Barrett est entré dans le studio). "Brain Damage" contient aussi les mots du titre, "Dark Side Of The Moon".
Comme "Brain Damage" s'enchaîne directement avec "Eclipse", les deux chansons ont souvent été réunies (à tort) sous le label "Dark Side Of The Moon". Autre chose qui corrobore l'impression d'unité : la mélodie de "Eclipse" apparaît comme une variation de "Brain Damage". De là à créditer Pink Floyd d'une volonté cyclique comparable à celle de Liszt pour sa Sonate en si mineur (devancé par Schubert avec sa Wanderer-Fantasie), il y a un pas que ne franchiront que les audacieux...
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