The Piper at the Gates of Dawn - Pink Floyd (1967)


1. "Astronomy Domine" – 4:12
2. "Lucifer Sam" – 3:07
3. "Matilda Mother" – 3:08
4. "Flaming" – 2:46
5. "Pow R. Toc H." (Syd Barrett/Roger Waters/Rick Wright/Nick Mason) – 4:26
6. "Take Up Thy Stethoscope and Walk" (Roger Waters) – 3:05
7. "Interstellar Overdrive" (Syd Barrett/Roger Waters/Rick Wright/Nick Mason) – 9:41
8. "The Gnome" – 2:13
9. "Chapter 24" – 3:42
10. "The Scarecrow" – 2:11
11. "Bike" – 3:21

 

L'album définitif du psychédélisme anglais fut enregistré dans le studio voisin de celui où les Beatles accouchaient de Sergeant Pepper. Pink Floyd était alors l'instrument de Syd Barrett, génie illuminé. J'insiste : on parle ici du Pink Floyd première manière. Rien à voir avec le second Pink Floyd, celui sur lequel Roger Waters apposera une main de fer. Le premier, c'est de la musique psychédélique composée sous l'influence du LSD ; le second, c'est de la musique planante pour fumeurs de haschisch.

Syd Barrett, à l'époque de The Piper At The Gates Of Dawn était fasciné par l'espace. Aussi, deux longues pièces parsemées d'expérimentations sonores hardies ouvrent-elles chacune des deux faces de l'album. "Astronomy Domine" est lancée par une guitare explosive, colorée, vibrant comme un pulsar. Jamais personne n'avait joué de la guitare comme Syd Barrett. Le chant en chœur, de la même façon, ne ressemble à rien de connu sous le soleil. "Jupiter and Saturn / Oberon, Miranda, Titania..." La fascination de Syd Barrett pour ces mondes qu'il imagine sûrement prodigieux tient des rêves merveilleux de l'enfance. Enfance ? Nous y reviendrons... "Interstellar Overdrive", l'autre morceau spatial, est emmené par un riff descendant au son inouï. La partie centrale du morceau est très expérimentale. Il faut tenir compte du contexte de l'époque, et surtout essayer d'être sensible à la picturalité de cette musique.

" Lucifer Sam ", une chanson reprise à de nombreuses occasions, fait à nouveau appel à la guitare électrique de Syd, passée à travers une chambre d'écho. Le riff est james-bondien (et déglingué par des effets sonores bizarres). Surtout, la chanson, quoique mélodieuse, a quelque chose dans sa structure de très anormal. Elle est nimbée par moments par les sonorités planantes du Hammond de Richard Wright ; et son solo en tremolo picking passe irrégulièrement d'un canal à l'autre. Les paroles sont surréalistes : " That cat's something I can't explain... "

" Mathilda Mother ", pour les amateurs de pop, apparaîtra comme la plus belle chanson de l'album. Ce n'est pas qu'elle soit sans irrégularités... Après qu'un bel arpège ait accompagné Syd, le pont se présente comme une vague de guitare suivie à l'unisson par le chant... On retrouve les éléments incongrus des chansons précédentes : solo en gamme indienne, guitare rythmique sauvage sur le troisième couplet... " Matilda Mother " finit avec un blues en mi majeur sur un rythme de valse et un accompagnement vocal de Wright et Barrett. Pour ce qui est des paroles, elle se présente sous la forme d'un conte merveilleux : " There was a king... "

" Flaming " est une réussite mélodique exceptionnelle. Belle guitare acoustique et chœurs vibrant d'admirable façon.

" Pow R. Toc H. " est un instrumental, le deuxième et dernier de l'album. Il y a une véritable progression : le motif du début de la chanson s'épanouit pleinement au bout de 3 minutes... C'est la chanson la plus barrée de l'album, incontestablement.

" Take Up Thy Stethoscope And Walk " est une chanson de Roger Waters (la seule de l'album). Chanson plutôt répétitive, avec un solo de Hammond pour meubler en son cœur... Le Roger Waters de l'époque était plus nuisible qu'utile dans ses inspirations.

Le monde de l'enfance réapparaît dans " The Gnome ", une magnifique chanson, tout aussi dépouillée que " Flaming ". Elle est accompagnée par la guitare acoustique. Les autres instruments sont utilisés à bon escient, pour ajouter des couleurs : basse se baladant sur le couplet, sons féeriques de l'orgue qui carillonne sur le refrain... La section " Eating, sleeping, drinking their wine " est un des plus beaux passages de l'album.

" Chapter 24 " a des paroles ésotériques : " the seven is the number of the young light ". Elles ont en fait été inspirée à Syd par un vieux livre de maximes chinois. Le clavier, d'ailleurs, a des airs de mélopée ancienne.

" Scarecrow " baigne dans une ambiance assez comparable à celle de " Chapter 24 ". C'est qu'il s'agit d'une chanson existentialiste, comparant l'existence de l'homme à celle d'un épouvantail ("scarecrow " en anglais). Les arrangements sont à nouveau très fins, car chaque instrument est utilisé avec modération, à bon escient. Le fond percussif ressemble à un cheval au trot ; le clavier est plus mélodique qu'harmonique. La chanson semble une préparation à la coda, où résonnent des guitares acoustiques magnifiques...

" Bike ", complètement délirante, évoque différents objets, avant de conclure ainsi : " You're the kind of girl that fits in my world / I'll give you anything, everything if you want things ". Chanson au rythme marqué (quoique irrégulier) sur les couplets, elle débouche sur l'absurde musical total sur les refrains : quelques notes de claviers accompagnent Syd pendant qu'un bruitage retentit.

L'album se termine d'ailleurs sur des bruits divers, qui font penser à la musique concrète : horloges, gongs, rires de maniaques, etc.

Je m'aperçois que je n'ai pas assez insisté sur une chose : tout est très bon, en dehors de la chanson de Roger Waters. Et cet album est un des plus influents qui ait jamais existé. Syd Barett invente ici le psychédélisme anglais, s'inspirant des comptines anglaises, à l'humour délibérément absurde, de la tradition du nonsense, du monde de Tolkien et bien sûr des visions lysergiques pour créer quelque chose de totalement idiosyncrasique.  

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr