Five Leaves Left - Drake, Nick (1969)


1. "Time Has Told Me" – 4:27
2. "River Man" – 4:21
3. "Three Hours" – 6:16
4. "Way To Blue" – 3:11
5. "Day Is Done" – 2:29
6. "'Cello Song" – 4:49
7. "The Thoughts Of Mary Jane" – 3:22
8. "Man In A Shed" – 3:55
9. "Fruit Tree" – 4:50
10. "Saturday Sun" – 4:03

 

Voilà un des grands destins tragiques de la musique que nous aimons. Féru de poésie et de musique dès son plus jeune âge, mort à seulement à vingt-six ans, Nick Drake a laissé une oeuvre dense et fascinante.

Essayons de décrire cette musique, en évoquant tout d'abord les influences. Nick Drake est un peu le Tim Buckley anglais. Tim Buckley qu'il adorait. Sauf que Nick Drake est profondément anglais : il vient du folk anglais et ne travaillera qu'avec des Anglais (c'est Joe Boyd, producteur de Fairport Convention, qui le prendra sous son aile).

Le jeu de guitare de Nick Drake est riche, avec des échos du jeu sauvage de Bert Jansch. Sa voix : douce, caressante comme un souffle. Nick Drake est le poète de ce qui est simple : rivières, champs et soleils délavés.

Son premier album, Fives Leaves Left, est le meilleur, avec Pink Moon. Le deuxième, Bryter Layter, entre ces deux sommets, paraît moins tendu, détourné de ses objectifs par une décontraction issue du jazz. Bryter Layter est un peu le Moondance de Nick Drake. Or - adaptation acquise ou fatalité - l'introspection sied mieux à sa musique.

Fives Leaves Left est un des albums les plus profondément émouvants qui soient. Il flotte sur lui une mélancolie qui paraît déjà incurable. Il y a chez Nick Drake une telle capacité à ressentir les choses (ça s'appelle la sensibilité) et à les retranscrire en musique, qu'on n'imagine pas qu'une telle intensité eût pu perdurer à travers les années.

Les deux premières chansons sont lentes. Des mécaniques répétitives et inexorables. Normal : c'est le temps qui parle, dans "Time Has Told Me", avec des plans lumineux de Richard Thompson à la guitare. Et dans "River Man", c'est sous un ciel dur d'été que s'écoule la rivière. Cette chanson est extraordinaire (mais laquelle ne l'est pas ?). Elle alterne étrangemment un accord majeur et un accord mineur. Et sa coda s'étire de façon géniale, avec des "Oh how they come and go" chantés d'une façon de plus en plus lointaine.

Un mot des arrangements. Fort opportunément, c'est une contrebasse, celle de Danny Thompson de Pentangle, qui accompagne la guitare sèche de Nick Drake.

Il y a parfois des congas comme dans la troisième chanson, "Three Hours", emportée par un ample riff acoustique.

Et il y a les arrangements de cordes de Robert Kirby. Ces cordes baroques s'adaptent avec tact et suggestivité au style de Drake. Les petits effectifs employés les rendent dramatiques comme de la musique de chambre.

Dramatique, la quatrième chanson, "Way To Blue", l'est assurément. Les instruments à cordes que nous venons d'évoquer constituent tout l'accompagnement. Chanson de lande gelée et désolée, avec une contrebasse qui fouaille les entrailles. Instruments à cordes également sur "When The Day Is Done", mais par-dessus une succession descendante d'arpèges. Ces deux chansons sont absolument magnifiques.

La sixième chanson, "'Cello Song", comme son nom l'indique, fait appel à un violoncelle. C'est miracle comment Nick Drake, à partir de quelque chose de très dépouillé et de simple (trois accords) parvient à étirer le temps et à suggérer des choses tout à fait nouvelles en musique.

La septième chanson, "Thoughts Of Mary Jane", quoique toujours rêveuse ("dreams", "strange world") est un peu une églogue entre des sommets passablement tourmentés.

"Man In A Shed" : c'est la chanson la plus rapide de l'album et, j'oserais dire, la plus immédiatement accrocheuse, avec sa guitare acoustique virtuose, sa contrebasse sautillante, en walking bass, et son piano swinguant. C'est surtout superbe.

"Fruit Tree" est le pendant de "When The Day Is Done", dans un style encore plus majestueux. Il faut noter à nouveau cette série d'arpèges qui plonge dans les catacombes, comme si le terme de tout ne pouvait être que la chute. Il est incroyable à quel point cette musique est hantée par la terre ("ground", "deep in the earth") et par les choses qui finissent.

L'album se clôt sur un "Saturday Sun" langoureux. C'est le morceau le plus inspiré par les colorations du jazz ; on peut y entendre un vibraphone.

Aucun morceau de Fives Leaves Left n'est anodin. Son intensité émotionnelle n'est égalée que par de rares albums. Happy Sad de Tim Buckley en fait partie. Et Pink Moon, évidemment. 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr