Nevermind - Nirvana (1991)


1. "Smells Like Teen Spirit" (Cobain/Grohl/Novoselic) – 5:01
2. "In Bloom" (Cobain/Nirvana) – 4:14
3. "Come as You Are" (Cobain) – 3:39
4. "Breed" (Cobain/Nirvana) – 3:03
5. "Lithium" (Cobain) – 4:17
6. "Polly" (Cobain/Nirvana) – 2:57
7. "Territorial Pissings" (Cobain/Nirvana) – 2:22
8. "Drain You" (Cobain/Nirvana) – 3:43
9. "Lounge Act" (Cobain/Nirvana) – 2:36
10. "Stay Away" (Cobain/Nirvana) – 3:32
11. "On a Plain" (Cobain/Nirvana) – 3:16
12. "Something in the Way" (Cobain/Nirvana) – 3:55

 

Que reste-t-il de l'ouragan Nirvana ? Après toutes ces années, on a tendance à rabaisser le phénomène : il s'agirait d'un groupe comme un autre qui aurait eu de la chance, ça aurait été un phénomène de mode plus que d'un phénomène musical, etc. Voilà ce qu'on peut lire sur certains forums spécialisés.

Halte au révisionnisme ! Dès son entrée en scène, la musique de Nirvana renferme une urgence qui reste tout à fait d'actualité. J'ai souvenir que Michka Assayas, au début d'une conférence qu'il allait prononcer, avait passé trois chansons : une de Robert Johnson, une de Hank Williams, et "Penny Royal Tea" de Nirvana. Le symbole est beau : Kurt Cobain au côté de la musique brute des pionniers.

C'est un fait que Nirvana a balayé pour un temps la muzak qui composait toute la set-list des éditeurs et des radios commerciales. Nirvana a saboté le programme. A asséné un bon coup de pied dans la fourmilière des eighties.

Il faut se souvenir de ce qu'était la scène musicale avant Nevermind. Les années 80 ont été une décennie particulièrement pénible pour le rock. Il y a bien sûr eu quelques précédents, quelques pincées de sel jetées dans la soupe de synthés, comme les Pixies ou les Stone Roses, qui ont remis à la mode le rock à guitares. Mais ces groupes n'ont jamais entraîné de phénomène de société. Le grunge a sans doute été la dernière époque où le rock s'est montré en phase avec la rébellion adolescente.

S'il y a eu soudainement une telle effervescence, c'est que la musique de Nirvana était de nature à susciter cette effervescence. Kurt Cobain, tout d'abord, était une encyclopédie du rock. C'était un passionné. Avec la générosité qui était la sienne, il n'a cessé de rendre hommage à des groupes féminins post-punk comme les Slits ou les Raincoats, ou encore à des groupes indépendants américains comme les Meat Puppets. On a beaucoup parlé aussi de l'influence des Pixies, en raison de l'alternance de passages en son clair et de passages en distorsion. Cette influence existe, bien sûr. Mais chez Nirvana, elle est bien plus brutale et bien plus systématique...

Plutôt que de se perdre dans une recherche d'influences, il faut peut-être donner la parole à Cobain, qui disait que sa musique était un croisement des Beatles et de Black Sabbath. A tout prendre, je crois que c'est la meilleure définition qu'on puisse trouver. Sur un plan harmonique, Cobain utilisait des grilles d'accords bien identifiables, qui n'ont pas leur équivalent dans la musique punk ou dans le hard-rock. Les harmonies comme les mélodies, mémorables, sont au fond très pop. Mais sur cette chair pop, Cobain plaque un squelette primitif, qui peut fort bien être rapproché de la musique de Black Sabbath. Il n'y a pas plus simple que cette dernière : des changements d'accords très rares, des cellules de base élémentaires qui sont répétées jusqu'à satiété... Or, il y a un souci de simplification très net dans la musique de Nirvana. Très souvent, les grilles d'accords des couplets sont répétées quatre fois (ou huit), avec la même mélodie ; puis c'est le refrain, auquel Cobain se permet parfois d'appliquer la même grille d'accords qu'aux couplets, en durcissant simplement le son des amplis.

Une telle simplicité est trop caricaturale pour être naturelle. Il faut se souvenir qu'en 1991, la musique sophistiquée était encore à la mode. Tout est donc parti d'une démarche réfléchie de la part de Cobain. Une telle démarche, ça s'appelle une démarche artistique.

En tous les cas, c'est une réussite, car Cobain parvient à concilier la mélodie avec l'énergie en évitant l'écueil de la power pop. Pour se rendre compte à quel point Cobain voyait juste, il n'y a qu'à comparer sa musique à des chansons daubesques, comme celles d'Oasis. Mélodie pop et énergie, c'est un cocktail normalement indigeste... Mais pas avec Kurt Cobain aux commandes. La simplification rend possible l'énergie. Il faut dire aussi que le son est très bon, même si Cobain jugeait le son de Nevermind trop commercial (lui préférant le son d'In Utero). Ce son, d'ailleurs, à peu de choses près, c'est celui de certains albums de Black Sabbath des années 70.

Les chansons ? Aucune chanson de Nevermind n'est anodine. Il y a le méga-tube, "Smells Like Teen Spirit", où Cobain hurle son mal-être et clame qu'il est un loser. Cette chanson, inspirée par un slogan publicitaire, est devenue une antienne générationnelle. Elle le mérite : il y a ces deux notes de guitare, les plus célèbres de l'histoire...

Il y a "In Bloom", avec son refrain-hymne, "Come As You Are" et son fameux riff en single notes, le génial "Lithium"... Toutes ces chansons ont fait les beaux jours des radios. Mais tout aurait pu sortir en single. On passe de chansons surexcitées comme "Breed", "Territorial Pissings" et "Stay Way" à des ballades somptueuses comme "Polly" ou "Something In The Way" (avec son violoncelle morose). Ma préférée : "On A Plain".

Après ces douze excellentes chansons... ce n'est pas fini. Un titre caché, intitulé "Endless, Nameless" surgit dix minutes après la fin officielle de l'album. C'est un titre d'une sauvagerie sans nom. Des passages qui tiennent du bruitisme et du metal alternent avec un arpège mélodieux. Avec ce titre, Nirvana prouvait qu'il n'était pas décidé à se laisser récupérer par l'industrie du disque. Les craintes évoquées au début de cette notule sont donc caduques : Nevermind n'est décidément pas un album commercial ; c'est un grand album. Tout court. 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr