Il est courant de considérer L.A. Woman comme comme un superbe retour en grâce après une série d'échecs de la part des Doors. La vérité, c'est que L.A. Woman doit surtout cette faveur à son statut de dernier album enregistré du vivant de Morrison. Hormis quelques titres majeurs, L.A. Woman est creux. Et il sonne mal : production froide, absence de chambre d'échos sur la voix de Morrison (les Doors étaient alors un bateau à la dérive, et ils n'avaient plus les moyens de s'en procurer, lâchés qu'ils étaient par les maisons de disques). L.A. Woman, c'est un groupe des sixties perdu dans une nouvelle ère, avec un son qui n'est pas adapté à sa musique.
Dans l'ombre du faux-col et de l'auréole mythique de L.A. Woman, il y avait pourtant un grand album, Morrison Hotel. Les critiques n'accordent pas (généralement, s'entend) une grande attention à celui-là, et pourtant c'est un album très dense. Album aussi très blues-rock. Les Doors, en perdition après un Soft Parade noyé par les cuivres, se devaient de revenir aux fondamentaux : ils reviennent donc au blues, qui hantait déjà le premier album (souvenons-nous de "Back Door Man").
Du rythm's blues sur "Roadhouse Blues" et sur "You Make Me Real". Un riff simple et efficace sur la première (Krieger confessait être très fier de cette chanson) doublé par l'harmonica de John Sebastian (le génie de Lovin Spoonful) ; une partie de piano frénétique sur la seconde. Deux chansons très catchy.
Du blues, du blues, du blues sur "The Spy". Et aussi une certaine souplesse héritée du jazz. Magnifique guitare claire. Une excellente chanson. "Je suis l'espion dans l'antre de l'amour..."
"Peace Frog" est une chanson rock presque funky, rehaussée par le Hammond de Manzarek. Krieger a écrit la musique et Morrison a posé un des textes par-dessus.
La dernière chanson, "Maggie M'Gill" est aussi teintée de blues dans sa progression harmonique, mais est emportée par plusieurs guitares qui la tirent du côté du rock.
"Queen Of The Highway" est une chanson rock avec une belle mélodie et une belle suite d'accords trouvée par Krieger.
Venons-en aux chansons qui échappent quelque peu aux catégorisations.
"Blue Sunday" et "Indian Summer" sont deux chansons comparables : lentes, langoureuses, avec Morrison croonant volontiers... Similarité également au niveau des paroles, puisqu'amour ne se conçoit pas sans les saisons. Sur ces canevas lents, remplis d'interstices, Krieger essaie de tisser des ambiances, notamment sur "Indian Summer", qu'il teinte d'orientalisme.
"Ship Of Fools" et "Land Ho !" : deux chansons que j'aime assez, complémentaires par leurs paroles, et dotées d'une structure analogue (un pont composé d'un lent crescendo). Excellent solo de Krieger sur la première. Ambiance instable et intéressante sur la deuxième, avec un riff dynamique comme une marche mais enlisé dans des nappes d'orgue poisseuses.
Terminons par le sommet incontestable de l'album : "Waiting For The Sun". Cette chanson ploie sous le poids de la drogue. Sur le couplet : une ligne de basse descendante accueille le chant vibrant de Morrison. Elle est entrecoupée d'un riff agressif, bourré de fuzz. Sur le refrain, un chœur chanté puissamment. Partout, la guitare slide de Krieger installe une ambiance psychédélique (de pschitté d'élite, comme disent les enfants). Morrison disait que Krieger était le meilleur guitariste slide d'Amérique : il avait sans doute raison.
Je ne prétendrai pas que cet album soit exceptionnel. C'est peut-être l'album des Doors le moins ambitieux. Morrison a mis en sourdine ses prétentions de voleur de feu. Mais c'est peut-être l'album le plus dense. Il n'y a pas vraiment de chanson faible, en-dehors des deux chansons les plus lentes ("Blue Sunday" et "Indian Summer"), qui ne plairont peut-être pas à tout le monde. Un album des Doors qui évite les grandes chansons épiques et qui se contente de se retremper à la source pure du blues ? C'est fort plaisant à écouter. D'ailleurs, pour ma part, c'est l'album des Doors que j'ai écouté le plus souvent.
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