Plastic Ono Band - Lennon, John (1970)


1. "Mother" - 5:34
2. "Hold On" - 1:52
3. "I Found Out" - 3:37
4. "Working Class Hero" - 3:48
5. "Isolation" - 2:51
6. "Remember" - 4:33
7. "Love" - 3:21
8. "Well Well Well" - 5:59
9. "Look At Me" - 2:53
10. "God" - 4:09
11. "My Mummy's Dead" - 0:50

 

Attention ! Cet album est sans concession ! Oreilles sensibles ayant aimé ce que John appelait le "miel" d'Imagine, prière de s'abstenir !

Il y a en effet rien de plus cru que Plastic Ono Band. Lennon, qui s'était déjà mis nu pour la pochette de son disque expérimental Unfinished Music, No. 1 : Two Virgins, met ici son coeur à nu.

Ca pourrait être joliet comme du Benjamin Biolay ; c'est dérangeant comme du Lennon. Au moment de l'enregistrement, Lennon était en pleine thérapie jdanovienne. Et de fait, il pousse des cris primaux en plusieurs endroits de l'album, et notamment sur "Mother" où il hurle à s'en arracher les poumons.

Avec Plastic Ono Band, la tête des Beatles invente donc l'album thérapeutique. Cet acte désespéré sera imité par bien des apprentis-chanteurs en mal de confession, sans que jamais ne soit retrouvée cette nudité poignante.

Car John Lennon, homme d'excès, ose vider l'espace sonore de toute enjolivure. Il n'y a pas de viande sur l'os : juste des nerfs à fleur de peau.

Curieusement, c'est Phil Spector qui est préposé à la production. On ne sait s'il a eu son mot à dire... Lennon, le seul à ne jamais trembler quand Spector lui collait un flingue sur la tempe, avait généralement les idées bien arrêtées.

A la batterie : Ringo Starr. Une chance. Il assure un tempo mécanique et métronomique, avec le même (excellent) son qui ancrait à terre les chansons les plus sombres du White Album, comme "I'm Tired".

L'album tout entier est enchâssé dans un chiasme : le bouleversant "My Mummy's Dead" (enregistré volontairement sur un petit magnétophone, avec une guitare sèche pour tout accompagnement, et chanté avec une voix d'enfant) répond au terrifiant "Mother". Glas inaugural, puis voix de John chantant "Mother, you had me / But I never had you". La démarche jusqu'au-boutiste de Lennon l'a conduit à des choix surprenants de modernité : le piano résonne de manière sépulcrale, et la batterie, qui conserve imperturbablement son tempo machinal, semble fantômatique. Belle mélodie, par ailleurs.

Il n'est guère étonnant que le thème de la mère soit si prégnant. Rappelons que Julia, la mère de John, avait été écrasée par une voiture presque sous ses yeux. Lors de la thérapie avec Jdanov, Lennon, comme il le déclara lui-même, prit conscience que ce traumatisme initial avait été à l'origine de tout son mal-être.

Dans "I Found Out", il assène ses révélations (au sujet de Jesus, de Hare Krishna, de la dope, etc.) sur un fond de guitare saturée. Il était très fier du son de guitare qu'il avait obtenu pour cette chanson. La basse tournoyante de Klaus Voorman (dont on ne dira jamais assez qu'il fut un artiste protéiforme de grand talent) n'est pas moins impressionnante. La même instrumentation est reconduite sur le très rock "Well Well Well".

"Working Class Hero" : ici, c'est le John en lutte politique qui apparaît. Belle protest song acoustique.

"Isolation" est pour moi le sommet de l'album. L'instrumentation, à nouveau, est si clairsemée qu'on a l'impression que les accords de piano eux-mêmes souffrent de l'isolement. La façon dont est utilisé l'orgue, avec une parcimonie extrême, est remarquable.

"Remember" a un piano saccadé qui donne un rythme haletant à la chanson. Il y est question des rêves des ados, à encourager, comme chacun sait.

Il y a une place pour la tendresse chez l'écorché vif John Lennon : "Love" et "Look At Me" en sont une preuve (superflue pour qui connaît déjà Rubber Soul ou le White Album). Ces deux magnifiques ballades se déploient par-dessus un accompagnement de piano pour la première, et de guitare pour la seconde.

Comme on peut le voir, Lennon se livre sans réserve. Tout y passe : ses origines sociales, ses parents, son statut de star adulée, ses problèmes relationnels... Pour solde de tout compte, il donne un ultime inventaire-confession, "God", formidable accumulation de désillusions de la part d'un être qui ne se veut plus dupe de rien. Il ne croit plus en Dieu, et (ce qui est bien plus grave) il ne croit plus en les Beatles ! "Le rêve est fini", assure-t-il. Lennon met ainsi un terme définitif aux années 60.

Cet album minimaliste, dont toutes les chansons sont bonnes mélodiquement, est sans aucun doute le meilleur d'un ex-Beatle en solo. Lennon ne fera pas mieux avec Imagine, dont la production est trop chargée, et dont certaines chansons sont passables. 

              Damien Berdot
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