Aftermath - Rolling Stones (The) (1966)


1. "Mother's Little Helper" – 2:45
2. "Stupid Girl" – 2:55
3. "Lady Jane" – 3:08
4. "Under My Thumb" – 3:41
5. "Doncha Bother Me" – 2:41
6. "Going Home" – 11:13
7. "Flight 505" – 3:27
8. "High and Dry" – 3:08
9. "Out of Time" – 5:37
10. "It's Not Easy" – 2:56
11. "I Am Waiting" – 3:11
12. "Take It or Leave It" – 2:47
13. "Think" – 3:09
14. "What to Do" – 2:32

 

Aftermath, dont tous les titres sont signés Jagger/Richards, est le premier grand album (et le premier véritable album, d'ailleurs) des Rolling Stones. Mais que les choses soient claires ! Les Stones de 1966 ne sont pas encore les Stones d'après 1968, qui matraqueront l'establishment britannique à coups de riffs saignants. Ce son-là, LE son auquel le public associe les Rolling Stones, n'est pas encore de mise en 1966. Il faudra attendre que les groupes garage américains, influencés par le "Satisfaction" des Stones qu'ils détourneront en quelque chose de bien plus brutal, banalisent les guitares distordues et influencent en retour les Stones pour qu'on voie fleurir un "Jumpin' Jack Flash".

En 1966, portés par le succès mondial de "Satisfaction", les Stones vont investir des domaines dans lesquels ils n'osaient pas se risquer franchement jusqu'alors et se poser en concurrents sérieux des Beatles. Il faut croire que le succès susdit les a vraiment libérés, car leurs chansons de 1966 dépassent largement tout ce qu'ils avaient entrepris auparavant. Sur Aftermath, on trouve des chansons pop, au son très clair, et constituant des réussites incontestables.

S'ils n'avaient pas le bagage harmonique des Beatles, les Stones pouvaient compter sur un goût sûr et un sens du style dont l'habitant d'Albion semblent avoir hérité plus que tout autre. Keith Richards, du reste, avait "étudié" dans une école d'art.

Comme pour tous les albums des Stones de l'époque, il y eut deux versions d'Aftermath : une version anglaise et une version destinée au marché américain, qui omet trois chansons ("Out Of Time", "Take It Or Leave It" et "What To Do"), tout en substituant "Paint It Black" à "Mother's Little Helper". La version anglaise est unanimement considérée comme meilleure, même si elle n'inclut pas l'immense tube "Paint It Black" (qui a été composée un peu plus tard que l'album et qui, de toute façon, vit de manière autonome).

Ce qui surprend le plus, à l'écoute de cet album, c'est l'étendue du registre, chose à laquelle les Stones ne nous avaient pas habitués. Les quatre premiers titres donnent la mesure du niveau atteint : "Mother's Little Helper", une ode à la pilule abortive, qui n'est rien moins que de la folk d'autant plus étonnamment allègre que le sujet est grinçant (dans la lignée du "Help" des Beatles paru l'année précédente) ; le misogyne "Stupid Girl", un morceau de blues-rock agrémenté d'un Hammond bancal (celui-ci a moins bien vieilli que le reste) ; "Lady Jane", une très mélodie médiévale (que reprendra Neil Young pour son "Borrowed Tune") ; et "Under My Thumb", un chef d'oeuvre rythmique et mélodique, où la basse fuzz fait son apparition.

L'influence de Brian Jones, autrefois centrale, se trouve désormais reléguée à la périphérie. Mis sur le côté par les ambitions de Jagger et du manager Andrew Lou Oldham, déjà handicapé par une consommation effrenée de drogues, refusant (lui, le puriste du blues) de se livrer au jeu du songwriting, Brian Jones brille néanmoins grâce à de géniales idées d'arrangements. C'est lui qui apporte ce dulcimer dépaysant dans "Lady Jane". Lui aussi qui fait le lien entre la batterie et le piano dans "Under My Thumb", par les vertus d'une ligne de marimbas mémorable. J'ai souvenir d'une interview de Keith Richards dans laquelle celui-ci (en dépit du peu d'estime qu'il semble porter à Brian Jones) lui reconnaît un incroyable talent pour apprivoiser des instruments nouveaux. Brian Jones était capable de d'absorber dans l'apprentissage de la harpe et d'obtenir des résultats satisfaisants au bout de quelques heures de pratique seulement...

"Doncha Bother Me" est un blues décent, avec une partie de slide jouée par Brian Jones". "Going Home" fut à l'époque un objet musical non identifié. Le morceau ne durait pas moins de 11 minutes 35. Apparemment, Charlie Watts et Keith Richards jammaient ensemble, et le métronome humain refusa de s'arrêter... "Going Home" (où Jagger se fait chanteur de skat dans une partie centrale improvisée), a contribué à l'étirement des chansons qui atteindra son apogée à l'époque psychédélique avec des monstruosités comme "In A Gadda-Da-Vidda". Mais la chanson des Stones ne souffre pas des tares de ses rejetons. Elle est bien écrite et bien interprétée (signalons la performance de Jagger à l'harmonica).

"Flight 505" et "High And Dry" sont deux chansons de blues-rock. La première, en plus d'être quelconque, souffre d'une production trop chargée. Il y a au moins deux basses, Brian Jones fait des interventions au clavecin électrique... La chanson est introduite par une partie de piano (le riff de "Satisfaction" joué par Ian Stewart). "High And Dry", par contre, est très satisfaisante. C'est du blues acoustique comme on en trouvera sur l'excellent Beggar's Banquet.

"Out Of Time", une des chansons de l'album qui a le plus contribué à enrichir l'image des Stones, est particulière en ce qu'elle est basée sur un riff... pour cordes et orchestre. Production imposante, avec double batterie et choeurs.

"It's Not Easy" : du très bon blues-rock (ça sonne toujours d'enfer quand Keith soutient Mick au chant).

Venons-en à ce qui est pour moi le sommet de l'album : "I Am Waiting". Comment les Rolling Stones ont-il pu avoir l'audace de créer une telle chanson en 1966 (quatre mois tout de même avant le Revolver des Beatles) ? "I Am Waiting" a un couplet très ryhmique, avec guitare répétitive et dulcimer (joué par Brian) coupés par les surprenants martèlements de la basse et les percussions (des timbales ?). Tout cela culmine en un refrain qui prend en tripes...

Les deux chansons suivantes sont moins exceptionnelles : "Take It Or Leave", pour tout dire, est même franchement soupesque ; "Think" ramène sur le devant de la scène la pédale fuzz de "Satisfaction", avec un moindre succès.

La conclusion, par contre, est très bonne : "What To Do" a un chant entraînant et une guitare vibrante comme les guitares des fifties. Il est pourtant question de la lassitude qu'entraîne la vie de tournée...

Aftermath fut l'éclatante confirmation de l'éclosion de Jagger et Richards comme songwriters de premier plan, capables de créer des classiques tout comme d'oser des innovations (qu'on pense à "Going Home" ou à "I Am Waiting"...). L'album resta 8 semaines au sommet des charts britanniques. 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr