Led Zeppelin II, c'est l'album hard-rock de Led Zeppelin. Led Zeppelin III sera l'album folk ; et le quatrième sera... un approfondissement.
Paradoxalement, je crois que c'est cet album-ci qui en est arrivé à me toucher le plus. Il dégage une puissance thermonucléaire. Voir Jimmy Page passer d'un stade où il avait la foudre dans la main à un stade de déchéance avancée (il s'injectait des speedballs à longueur de temps) est quelque chose d'infiniment pathétique.
Devant une musique aussi percutante, je deviens une simple midinette en admiration devant des rock stars. Certains ont voulu, après coup, comparer le Jeff Beck Group à Led Zeppelin, allant parfois jusqu'à lui donner la préséance au premier (il aurait devancé Led Zeppelin dans l'invention du hard rock). C'est une foutaise d'intellos. Jeff Beck avait tout faux ; son ego démesuré l'a empêché de construire autour de lui un groupe soudé. C'était son groupe à lui : le Jeff Beck Group. Page, lui, était homme de partage : il a souhaité s'entourer des meilleurs et a toujours mis au-dessus de tout intérêt particulier l'entité Led Zeppelin.
Et quelle entité ! Page, alors que les Yardbirds s'étaient progressivement dissous, s'était associé John Paul Jones, bassiste de studio avec qui il avait déjà travaillé, et également arrangeur de talent (c'est lui, par exemple, qui a arrangé le splendide "Daydream" de Lovin Spoonful). Puis il avait repéré le charisme et l'incroyable expressivité du chanteur Robert Plant. Enfin, Plant l'avait orienté sur la piste John Bonham. Celui-ci s'était un jour vu dire qu'il ne parviendrait jamais à rien dans le domaine de la batterie, parce qu'il jouait trop fort. On connaît le résultat... Bonham, c'est Vulcain.
D'où vient la musique de Led Zeppelin ? Il n'y a même pas besoin de faire référence au Jeff Beck Group. La vérité, c'est que Led Zeppelin a été la suite logique des Yardbirds. D'ailleurs, le groupe, à l'origine, s'appelait les New Yardbirds. La musique n'est pas foncièrement différente de ce que faisaient les Yardbirds sur la fin... C'est du blues-rock, mais transformé en agression sonique. Gageons que la puissance de chant de Plant et celle de batteur de Bonham ont contribué à lui apporter ce surcroît d'énergie...
Si donc l'on veut chercher des sources à la musique du Zep, et partant, des sources musicales au hard rock, c'est vers le vivier anglais du blues-rock qu'il faut se tourner. Trois guitaristes l'ont incarné, ce blues revival : Eric Clapton, Jeff Beck, Jimmy Page. Et les trois sont passés par les Yardbirds. Outre les Yardbirds, le groupe anglais emblématique de ce blues revival fut Cream. On n'a plus conscience aujourd'hui de l'impact qu'a eu la musique de Cream. Pendant les concerts, Clapton, Bruce & Baker étendaient démesurément leurs chansons, et montaient exagérément les potentiomètres de volume. Baker racontait que Bruce et Clapton, en rivalité, haussaient chacun à leur tour le volume de leurs instruments, tant et si bien qu'on finissait par ne plus entendre la batterie du pourtant puissant Baker... Il n'est pas impossible que le hard rock soit en fait né dans ces concerts prolongés et très médiatiques du groupe Cream.
Quoiqu'il en soit, c'est Led Zeppelin qui fixe sur vinyle le son de ce qui deviendra le hard rock (Page l'appelait "progressive blues"). Le premier album sort en 1969 et est très bon. Le second album sort la même année et est encore meilleur, au point d'être reconnu comme un des plus grands albums de tous les temps.
Il est emmené par le très violent "Whole Lotta Love", une déformation du "You Need Love" de Willie Dixon. Dès ce premier titre, tout est en place : un riff très rythmique de Page, la voix suraiguë de Bonham, la batterie métronomique de Bonham... On ne dira jamais assez à quel point Bonham était capable de donner du groove à n'importe quel riff. Ici, alors que la cymbale reste stable, il décale sur le temps faible le dernier coup de caisse caire de la cellule rythmique accompagnant le riff. Ca fait toute la différence : ce dernier est propulsé en avant, par réaction...
Led Zeppelin peut compter également sur les talents de producteur de Page. Celui-ci place les micros très près des instruments, de sorte que le son est vivant. On a l'impression que le groupe est dans le salon !
Pour "Whole Lotta Love", Page emploie plusieurs astuces : glissando en forme de déchirure sur le refrain, et bruitages divers pendant le pont, donnant à ce dernier un caractère psychédélique.
Mais la performance la plus impressionnante sur Led Zeppelin II est peut-être celle du plus discret des quatre : le bassiste John Paul Jones. Je suis absolument fasciné par l'impression de liberté qu'il confère à chacune des chansons. Il est aussi inventif dans les moments les plus calmes (les couplets de "What Is And Should Never Be") que dans les rocks les plus durs ("The Lemon Song").
"What Is And Should Never Be" est coupée en deux : accords quiets sur les couplets (mais accords de neuvième et de treizième, comme en jazz) ; son distordu et batterie violente sur les refrains. La façon dont se termine le refrain, avec un choeur qui s'éteint progressivement, est absolument remarquable. Le Led Zeppelin de 1969 avait beaucoup de ressources, n'hésitant pas à munir la coda d'un riff qui aurait apporté la gloire à n'importe quel groupe commun. Riff presque funky avec alternance de canaux : la première partie du riff sur le canal de droite, la seconde sur le canal de gauche.
"The Lemon Song", pour le moins sexiste (mais les critiques font-ils le même reproche au "Traveling Riverside Blues" de Robert Johnson ou au "Killing Floor" d'Howlin' Wolf ?), a un riff montant doté d'un son extraordinaire. La fin de la chanson est jammée, Plant dialoguant avec la guitare de Page, avant que le tempo ne soit doublé pour accueillir un solo exubérant.
"Thank You" est une des plus belles chansons de l'album. C'est la première chanson de Led Zeppelin dont Robert Plant ait écrit entièrement les paroles. Ces dernières sont dédiées à sa femme, Maureen. "If the sun refuses to shine..." Un Hammond solaire joué par John Paul Jones accompagne seul Plant sur les couplets, avant que la guitare de Page, habilement, ne s'introduise dans la rythmique, au biais d'un arpège descendant. Refrain plus puissant, naturellement, intégrant un chant en choeur. C'est d'ailleurs à ce moment-là que Robert Plant fait quelque chose d'anodin : il pousse un "My, my, my" (!). Mais il le fait de telle façon que je trouve ça infiniment touchant.
"Heartbreaker" : un des rocks les plus fameux de Led Zeppelin, "Heartbreaker" est basé sur un riff montant. Son de basse énorme (il joue avec de la distorsion) de John Paul Jones sur les couplets. Et Plant crie mieux que jamais. Le solo de Plant sur cette chanson est un de ses plus célèbres. Il n'a pas été enregistré en même temps que le reste du morceau : Page s'amusait sur une autre guitare... il a effectué un solo spontané, qui a finalement été conservé... C'est ce solo qui a donné à Van Halen l'idée du tapping.
"Living Loving Maid" : Page et Plant n'aimaient pas trop cette chanson, qui s'enchaîne naturellement avec "Heartbreaker"... Pourtant, le résultat est assez impressionnant sur le plan sonore, même si ce n'est bien sûr pas la plus originale des chansons de l'album.
"Ramble On" : même dichotomie que sur "What Is And Should Never Be". A des couplets délicieusement folk (avec basse mouvante) succèdent des refrains puissants.
"Moby Dick" : c'est la chanson de l'album que j'aime le moins... elle est exclusivement instrumentale... un excellent riff entortillé (comme Page savait les faire) encadre un grand solo de batterie de Bonham...
"Bring It On Home" : il y a à nouveau ici un enchâssement. Un blues classique, avec une guitare pour tout accompagnement (en fait une chanson de Willie Dixon du même nom), précède et suit le plus extraordinaire hard rock que Led Zep ait jamais gravé. Deux guitares pour un riff inouï. La batterie et les percussions de Bonham, avec cymbale explosive toutes les deux mesures. La voix rageuse de Plant... Après un an seulement d'existence, Led Zepellin avait déjà acquis une homogénéité indépassable !
Dans ce genre-là, on n'a jamais fait mieux depuis. L'étonnant, c'est que Led Zepellin ait enregistré cet album rapidement, en plein milieu d'une tournée triomphale aux Etats-Unis. Peut-être est-ce ça qui lui donne cette apparence libre (et libertaire).
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