La brit pop, courant bien connu qui nous a amené le meilleur et le pire, a connu son apogée en tant que mouvement de 1994 à 1996. Mais, comme il arrive bien souvent (songeons que les meilleurs punks furent peut-être... les pré-punks comme les Stooges et MC5), ce sont sans doute les parrains de ce mouvement auxquels le temps rendra le plus justice.
Le mot "britpop" est apparu pour la première fois dans le magazine britannique Sounds pour décrire la musique des La's et des Stone Roses. Mais, alors que la musique des Stone Roses était encore empreinte du rythme de la danse propre déjà à certains shoegazers, avec les La's, on avait à faire à autre chose. Quelque chose de rétrograde, sans doute, car inspiré par la pop anglaise des années 60. Mais quelque chose de terriblement efficace et mélodieux. Il faut dire que les La's avaient de qui tenir : c'était un groupe de Liverpool.
Il y a dans cette musique la même allégresse mélodique et ces mêmes rythmes entraînants qui rendaient si excitants les premiers succès du merseybeat. En plus de produire des chansons aux qualités mélodiques évidentes, les La's avaient un autre atout : leur chanteur Lee Mavers. Un dingue. Quelqu'un entretenant avec la musique une relation quasi-mystique, croyant au pouvoir des belles mélodies, un peu comme Brian Wilson. J'ai souvenir d'une interview au cours de laquelle Mavers jouait, seul avec sa guitare, des chansons d'une beauté inouïe à son interlocuteur, comme si ces chansons lui venaient naturellement...
Il faudra des années aux La's pour enregistrer leur seul et unique album, tant Mavers se montrait perfectionniste en studio. Et d'ailleurs, la version de l'album vendue dans le commerce (la seule disponible, en fait) n'aura pas l'heur de plaire à Mavers. Voyant que les La's s'éternisaient en studio, la maison de disques prit la liberté de commercialiser l'album sans l'aval du groupe. A la suite de quoi, Mavers basculera peu à peu dans une vraie folie. Il déclare à l'époque à qui veut l'entendre que l'album est une vraie merde, une "saloperie technologique". Nous croyons pouvoir rassurer le lecteur : cet album est en fait une splendeur. Mavers, le regard tourné vers la lumière des sixties, rêvait à un son naturel, débarrassé des échos et des effets des années 80. Or, John Lillywhite (qui avait travaillé avec U2) a réalisé là une production particulièrement claire et sobre...
Résumons : les La's ont de bonnes chansons, ils ont une part d'excentricité. Et en plus de ça, le temps leur a conféré une importance historique considérable. Le retour aux Beatles et aux Kinks ? Ca n'aura finalement rien de passéiste, puisque tout le mouvement Britpop opérera le même retour aux sources. Noël Gallagher l'a bien dit : l'album éponyme des La's est "le premier album de Britpop". Et bien souvent la prééminence historique est gage de qualité... S'il y a eu tant d'imitateurs, tant de groupes reproduisant la démarche des La's, c'est sans doute que cette musique était particulièrement réussie. On n'imite pas ce qui est minable. Rendons donc aux La's ce qui leur appartient.
Que faut-il s'attendre à trouver sur l'album ? D'abord, pas d'effets synthétiques. Pour Lee Mavers, l'histoire semble s'être arrêtée à 1966. Mais il réussit l'exploit de retrouver l'efficacité et la fougue des créateurs de la pop-music. Ceux qui ont développé une allergie aux années 80 apprécieront. Les chansons qui accrochent le plus rapidement l'auditeur sont peut-être les "Doeldrum", les "Feelin" ou les "Failure". On pense à des maniaques restés coincés sur les Who de "Magic Bus". Mais il y a aussi les arpèges, des arpèges somptueux, façon Byrds (via peut-être REM), sur le grand classique "There She Goes", chanson increvable, reprise d'innombrables fois, sans que jamais ne soit égalée l'enthousiasme de nos Liverpudliens. Il y a des morceaux emportés par une guitare électrique nerveuse, celle de Peter "Cammy" Cammell : voir "I Can't Sleep". Certains morceaux groovent, grâce au bassiste John Power (l'autre cerveau du groupe). Bref, tout est incroyablement jouissif.
Les deux morceaux les plus inclassables sont "Freedom Song" et "Looking Glass". Le premier a un swing balancé tel un numéro de Kurt Weil. Ca aurait pu être du Tom Waits, si Tom Waits chantait comme un Anglais. Le second, de loin le plus long (et le plus lent) morceau de l'album, est basé sur des arpèges acoustiques.
Il faut profiter de cet album : ce sont les seules chansons sorties du cerveau maladivement minutieux de Mavers qui aient été enregistrées. Depuis, Mavers vit toujours avec de la musique réjouissante dans sa tête, mais sans risquer de se commettre avec des producteurs suppôts de l'Infernale Technologie. "Ma musique ne peut pas se transformer en chiffres", avait-il dit. Que John Lillywhite soit béni pour être passé outre...
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