L.A.M.F. - Thunders, Johnny (& The Heartbreakers) (1977)


1. "Born Too Loose" (aka "Born to Lose")
2. "Baby Talk"
3. "All By Myself" (Walter Lure/Jerry Nolan)
4. "I Wanna Be Loved"
5. "It's Not Enough"
6. "Chinese Rocks" (Dee Dee Ramone/Richard Hell)
7. "Get Off The Phone" (Walter Lure/Jerry Nolan)
8. "Pirate Love"
9. "One Track Mind" (Walter Lure/Jerry Nolan)
10. "I Love You"
11. "Goin' Steady"
12. "Let Go" (Johnny Thunders/Jerry Nolan)
13. "Can't Keep My Eyes On You" (Walter Lure/Jerry Nolan)
14. "Do You Love Me?" (Berry Gordy, Jr.)

 

Impossible de parler de cet album sans s'attarder sur la légende Johnny Thunders.

Johnny Thunders ainsi que Jerry Nolan firent d'abord partie des New York Dolls, un combo new-yorkais qui dynamita la musique de la première moitié des seventies. Leur musique se voulait une synthèse de celles des girl groups des années 60, du blues du Delta et des Rolling Stones. En somme, c'était violent et kitsch tout à la fois. Les New York Dolls combinèrent la violence pré-punk de Johnny Thunders avec les préoccupations arty du chanteur David Johansen (un clône étonnant de Mick Jagger). C'est ainsi que toute une imagerie gay se constitua autour des Dolls, qui s'habillaient en folles. La musique ? Plusieurs chansons sont éblouissantes. Mais d'autres paraissent plus anodines, et ont de plus mal subi le test du temps. Elles pourraient être le fruit d'un banal groupe de bastringue entiché de rythm'n blues.

Après deux albums avec les New-York Dolls, Johnny Thunders quitte le groupe. Il est alors drogué en permanence. Il a la gueule d'un Keith Richards en version décadente.

C'est en 1975, à New-York, que Johnny Thunders fonde les Heartbreakers avec le légendaire Richard Hell. Richard Hell s'était fait virer de Television pour incompatibilité d'humeur avec Tom Verlaine ; il se fera virer des Heartbreakers pour incompatibilité d'humeur avec Johnny Thunders.

Chaque concert des Heartbreakers est un moment exceptionnel, tant à New-York où ils se présentent temporairement comme les Junkies (pour éviter une confusion avec les Heartbreakers de Tom Petty), qu'à Londres où leur carrière va prendre un nouvel essor. Il faut dire que Thunders est une personnalité flamboyante, qui n'hésite pas à railler le public, avec sa gouaille italo-américaine (son vrai nom est Gonzale)...

A Londres, Tunders est déjà vénéré par les futurs punks, Steve Jones en tête. Le premier single des Heartbreakers, "Chinese Rocks-Born Too Loose" est un des meilleurs de la période punk. Au passage, précisons que le titre est bien "Born Too Loose" (né sans discipline), et non pas "Born To Lose", comme la pochette britannique l'indiquera faussement. Tout un présage...

Le premier et unique album des Heartbreakers sort en 1977. C'est un formidable album, mais malheureusement il passe complètement au-dessus du public à cause d'un défaut de pressage. Les musiciens, effondrés par la mauvaise qualité du son, se déchirent, et en dépit de la publication d'un excellent album live, se séparent sans enregistrer de nouvel album.

A noter que Johnny Thunders, conscient de la valeur de L.A.M.F., tentera en 1984 de ré-enregistrer l'album, avec d'autres musiciens. Mais cette version, intitulée "L.A.M.F. Revisited", ne rend pas justice au monument qu'est L.A.M.F.. Heureusement, en 1994, les employés de Tracks s'aperçurent que ce n'était pas la production mais le pressage qui avait été déficient. Les meilleurs mixs furent donc sélectionnés, et l'album resortit, impeccable, sous le nom de "L.A.M.F.: The Lost '77 Mixes".

C'est donc à un lost album que nous avons affaire, un album qui n'a longtemps été disponible que de façon fantômatique. On devinait à quoi la musique originale devait ressembler, mais on ne pouvait l'entendre réellement. Frustrant...

Il faut acheter cet album car c'est le meilleur album de Johnny Thunders, l'incarnation du punk auto-destructeur. Les albums des New-York Dolls, comme nous l'avons dit, sont bons mais inégaux. En 1978, Thunders sortira un album solo, So Alone. Il y aura là quelques moments forts, mais certainement pas la compacité de L.A.M.F.

Il faut aussi acheter cet album car c'est le meilleur album de punk new-yorkais, tout simplement (et en même temps un trait d'union entre Londres et New-York). Blank Generation de Richard Hell est emblématique et parfois excellent... Mais il n'a pas la même densité. Quant aux albums des Ramones, je pense qu'il est temps de dire que leur pop à trois accords jouée fort appartient à la deuxième division du punk. Ce qui est dit est dit. Television ? Indépassable, naturellement, mais est-ce encore du punk ?

Je ne pense pas qu'il y ait de mauvais titre sur L.A.M.F.. Nous en détaillerons quelques-uns. Le classique "Born Too Loose" tout d'abord... On retrouve les riffs dollsiens à la Chuck Berry joués à un volume de 11. Refrain en choeur. Solo tranchant pour conclure...

Si cet album est ce que Thunders a fait de mieux, c'est parce qu'il a essayé ici d'être sec, de ne garder que l'os. Toutes ses interventions sont donc concises et nerveuses. C'est du punk ; ce n'est plus la musique chargée des Dolls.

Plusieurs morceaux excellents : "Baby Talk", "I Wanna Be Loved", joué à fond de train... Jerry Nolan, qui est le batteur punk ultime, martèle passionnément sa caisse claire, ne répugnant pas parfois à quelques roulements de toms (sa signature).

Ma chanson préférée : "All By Myself". La façon dont Thunders coupe son riff toutes les deux mesures par un accord étouffé est quelque chose de simple mais de génial. Cet homme, comme Keith Richards, savait faire sonner une guitare. Il avait derrière lui des années de jams dans des caves miteuses et de concerts improvisés.

"It's Not Enough" est le seul slow de l'album. Thunders montre qu'il est aussi capable de jouer en son clair, dans un registre tendre.

"Chinese Rocks", une ode à l'héroine, est l'hymne des Heartbreakers. Ils n'en sont d'ailleurs pas les auteurs. C'est Dee Dee Ramone qui a écrit cette chanson. Mais les Heartbreakers sont des méchants et ils ont un son infernal : la version qu'ils gravent de "Chinese Rocks" surpasse largement toutes les versions des Ramones.

Pour comprendre de façon plus tangible tout ce que le punk anglais doit à Johnny Thunders, il faut écouter "Get Off The Phone".

"Pirate Love" : j'ai parlé du riff de "All By Myself" ; je pourrais aussi parler de celui-ci, qui est fantastique...

On pourrait continuer ainsi jusqu'à la fin de l'album : il n'y a pas une mauvaise chanson sur L.A.M.F.. C'est mélodieux et énergique à la fois (cocktail toujours délicat à réaliser). C'est un album essentiel. 

              Damien Berdot
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