Arthur (Or the Decline and Fall of the British Empire) - Kinks (The) (1969)


1. "Victoria" – 3:40
2. "Yes Sir, No Sir" – 3:46
3. "Some Mother's Son" – 3:25
4. "Drivin'" – 3:21
5. "Brainwashed" – 2:34
6. "Australia" – 6:46
7. "Shangri-La" – 5:20
8. "Mr. Churchill Says" – 4:42
9. "She Bought A Hat Like Princess Marina" – 3:07
10. "Young And Innocent Days" – 3:21
11. "Nothing To Say" – 3:08
12. "Arthur" – 5:27

 

Arthur est sans doute, avec The Village Green Preservation Society, l'album des Kinks le plus cohérent. C'est d'ailleurs l'avis de Ray Davies lui-même. Cette cohérence s'explique par les origines de l'album. Ray s'était associé au dramaturge Julian Mitchell afin de concevoir une fresque historique télévisuelle retraçant les riches heures de l'Empire britannique (évoquées dans la première chanson, "Victoria") puis son déclin et sa chute (la dernière chanson, "Australia"). Hélas, la chaîne de télévision ITV finit par se retirer du projet... Arthur n'eut donc pas de destin télévisuel ; il vint au monde sous la forme d'un opéra-rock, un des premiers de l'histoire. Précisons d'ailleurs, à ceux que le concept d'opéra-rock inquiéterait, qu'il n'y a pas d'inquiétude à voir quand le maître d'oeuvre d'un projet est le Ray Davies des années 60. On n'a jamais vu opéra-rock moins prétentieux. C'est bien moins ampoulé et bien mieux écrit que le Tommy des Who.

Si Arthur a une grande cohérence textuelle (comme The Village, c'est une entreprise que Ray a menée à bien en tyran domestique, sans laisser la moindre place aux compositions de son frère Dave), il est beaucoup plus dispersé que ne l'était The Village sur le plan musical. Ca va de la ballade ("Shangri-La") au rock gras avec cuivres ("Nothings To Say"). Car il y a des cuivres sur Arthur : c'est une nouveauté. Le son, un peu plus dur que sur les albums précédents, plaira sans doute moins aux mélomanes ayant grandi dans la pop. A ces derniers, je conseille plutôt de commencer leur carrière de kinksophiles par une écoute de Face To Face et Something Else.

Deux chansons d'Arthur ont traversé les océans et sont devenues des morceaux de bravoure scéniques : "Victoria" et "Shangri-La".

"Victoria", qui ouvre l'album, renvoie logiquement l'auditeur aux riches heures de l'Angleterre victorienne. C'est une ode hymnique à la reine Victoria. Tout cela ne se fait pas sans ironie, bien entendu... Avec sa célèbre intro de guitare et son refrain en choeur à la mélodie imparable, "Victoria" est une chanson à laquelle il est impossible de ne pas accrocher.

"Shangri-La", c'est le Ray le plus tendre : une merveille, construite sur des arpèges de guitare délicats (ce qui est une première pour une chanson des Kinks). A la guitare s'ajoutent peu à peu du clavecin et des cuivres, au cours d'un crescendo culminant dans un refrain orgasmique. Ray avait raconté combien il avait pris plaisir à chanter cette chanson. Elle célèbre les joies du propriétaire ayant enfin trouvé son "shangri-la" (paradis bouddhiste).

On n'a pas encore parlé de la façon dont sont appliqués les cuivres... C'est le genre d'instrument qui peut sauter à la face de son utillisateur et flinguer un album. Par bonheur, Ray était encore dans sa période de grâce... Le travail d'arrangement a été mené avec beaucoup de clairvoyance. On ne dira jamais assez à quel point les Anglais sont hommes de goût.

Après la belle ouverture victorienne, une chanson martiale : "Yes Sir, No Sir". Elle est conduite sur un rythme de marche militaire. Ca aurait pu servir pour la B.O. de Full Metal Jacket ! Mais les chansons d'Arthur sont plus complexes que celles des albums antérieurs des Kinks. Ray Davies nous réserve une merveille de pont (à 1:50), au moment où l'horreur de la condition militaire est exprimée avec le plus de cynisme.

Nous voilà transportés dans les tranchées avec "Some Mother's Son". Chanson pop où même les choeurs se veulent contenus. Un soldat a en tête des souvenirs d'enfance ; la seconde après il meurt.

Pendant que l'Europe entière se suicide sur les champs de bataille, le narrateur de "Drivin'", lui, ne pense qu'au plaisir de partir en voiture dans le but de pique-niquer : "The sun is shining...". Cette chanson enjouée est musicalement jouissive. La voix acide de Ray surmonte d'abord des choeurs.magnifiques. Puis Dave fait pleuvoir les guitares, soit en étouffées, soit en quintes cristallines.

C'est peut-être sur cet album qu'on se rend le mieux compte de l'importance du travail que pouvait effectuer Dave en tant que guitariste (et que choriste). Il est bien dommage qu'il ne soit pas reconnu pour ce qu'il fut : le guitariste de pop le plus fin d'Angleterre, avec Harrison. Ray Davies pouvait aussi compter sur Mick Avory pour assurer une rythmique classieuse. Comme l'a dit Ray, "Mick n'était peut-être pas le meilleur batteur d'Angleterre, mais c'était un batteur de jazz...".

"Brainwashed" : critique de l'étroitesse d'esprit d'une certaine Angleterre. Titre up-tempo avec grilles d'accords rythm'n blues.

"Australia" : Ray joue habilement de clichés musicaux, de ralentissements, d'accélérations, afin de construire cette chanson où on laisse miroiter aux Anglais le rêve d'une vie en Australie.

"Mr. Churchill Says" : cette fois, c'est la Seconde Guerre Mondiale. Splendide guitare lead de Dave.

"She Bought A Hat Like Princess Marina" est une délirante chanson dans laquelle Ray se moque de la fascination (toujours vivace) qu'éprouvent beaucoup d'Anglais des classes les plus pauvres pour la monarchie. "Elle s'est acheté le chapeau de la princesse Marina, alors elle ne s'en fait pas..." Accompagnement de clavecin et de piano au début de la chanson ; puis tout se termine de façon échevelée, avec batterie empressée, choeurs déments, trompette bouchée...

"Young And Innocent Days" est un véritable petit morceau baroque, avec clavecin (et même ébauches de développements contrapuntiques). Les paroles sont concises : regret du passé. Désormais, les rides sont là...

"Nothing To Say" : chanson enjouée, avec choeurs gospel. Le sujet n'est pourtant pas particulièrement cocasse : ce sont des gens qui se souviennent de leur jeunesse. C'est le traitement qui est cocasse : "Comment vont tes rhumatismes ? - Rien à dire !"...

"Arthur" résume l'histoire d'Arthur, qui a beaucoup trimé et qui s'est bâti son "Shangri-La". Mais le monde qu'il incarne vit ses derniers jours, et ses enfants partent pour des terres nouvelles : l'Australie. Et comme entre le bush australien et les prairies californiennes n'y a qu'une différence de longitude, le fond musical est emprunté au western. Belle prestation guitaristique, encore une fois, de Dave.

Les derniers mots de cette chanson montrent toute l'ambiguité de la position de Ray Davies par rapport à la vieille Angleterre : "we love you and want to help you". Difficile de faire la part de l'ironie et celle de la compassion... Les relations de Ray Davies à cette Angleterre-là mêlent rejet et fascination.

Arthur est un album dont on ne saurait se passer. Il brasse toute une partie de l'histoire de l'Angleterre et renferme donc les mots les plus daviesiens du plus grand parolier de la musique anglaise. Cela ne va pas sans quelques temps morts sur le plan musical, surtout dans la deuxième partie de l'album. Non que les musiques soient mauvaises... Elles ne pourraient pas être davantage en adéquation avec les textes qu'elles illustrent. Simplement, il y a moins d'excitation que dans les albums précédents. 

              Damien Berdot
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