Face To Face - Kinks (The) (1966)


1. Party Line
2. Rosie Won't You Please Come Home
3. Dandy
4. Too Much on My Mind
5. Session Man
6. Rainy Day in June
7. A House in the Country
8. Holiday in Waikiki
9. Most Exclusive Residence for Sale
10. Fancy
11. Little Miss Queen of Darkness
12. You're Lookin' Fine
13. Sunny Afternoon
14. I'll Remember

 

Ray Davies, seul, a fait aussi bien voire mieux que les Beatles. Il aura inventé le hard-rock avec ses premiers singles (comme "You Really Got Me") ; il aura brillé dans le genre de la pop la plus pure, au point d'en devenir l'incarnation ; il aura fait du blues-rock avec Muswell Hillbillies...

Il faut donc absolument écouter les Kinks. Et s'il y a une porte d'entrée à leur oeuvre, au sein de leur ample discographie, je crois que c'est cet album-ci : Face To Face.

Face To Face est le premier véritable album des Kinks. Les trois premiers albums étaient davantage des collections de singles et de reprises que des albums. Cela dit, c'est la même chose pour les premiers albums des Stones et des Who... Vous connaissez beaucoup d'albums pré-66 qui soient vraiment consistants, vous, hormis Rubber Soul des Beatles et Highway #61 de Dylan ?

Au moment de l'enregistrement de Face To Face, les Kinks sont en proie au doute. Les tournées ont suscité des tensions internes, notamment entre le batteur Mick Avory et Dave Davies. Des écarts sur scène réels ou allégués ont même valu au groupe une interdiction de séjour aux Etats-Unis, ce qui hypothèque grandement son avenir. Les Kinks entrent donc en studio repliés sur eux-mêmes et traumatisés.

C'est du sein de ce marasme, alors qu'il lutte contre l'alcoolisme et la dépression, que le talent de songwriter de Ray Davies va éclore pleinement. Il faut dire qu'il n'est pas dénué d'ambition. Lassé des tournées, il se verrait bien un destin à la Brian Wilson, à rester confiné en studio pendant que les autres assureraient la promotion des chansons.

Le dessein de Ray : réaliser un portrait de l'Angleterre qui l'entoure. Face To Face est presque un concept album avant l'heure. Ce vaste projet va être contrarié par la maison de disque. Ray voit grand : il voudrait inclure des titres supplémentaires sur l'album, réaliser des transitions subtiles avant chaque plage (idée très moderne), adopter une pochette radicalement sombre... Mais Pye Records s'y oppose. C'est ainsi que l'album sort avec une pochette chamarrée : il faut sauver ce qui peut être sauvé et donner l'impression d'un groupe heureux, m'enfin ! Que le lecteur soit rassuré, cependant : les titres qui ont été retenus pour Face To Face sont sans doute les meilleurs. Il est possible d'en juger, car ceux qui ont été écartés sont disponibles en bonus tracks.

L'album démarre en fanfare avec "Party Line", la chanson la plus rock de l'album. C'est jouissif comme du Beatles d'avant Rubber Soul. La rythmique a d'ailleurs le balancement caractéristique du merseybeat. Et le chant des frères Davies a la même acidité que celui d'un Lennon. J'aime.

"Rosie Won't You Please Come Home" est une lettre écrite par Ray à sa soeur Rosie. La guitare de Dave est à l'unisson avec la voix de Ray pendant que ce dernier promet : "I’ll bake a cake if you tell me you’re on the next plane home". Belle partition de clavecin jouée par Nicky Hopkins sur les refrains. On retrouvera le clavecin sur d'autres chansons comme "Too Much On My Mind".

"Dandy", souvent reprise dans les compilations des Kinks, est une critique des jeunes de Carnaby Sreet trop poseurs et trop soucieux de leurs apparences. Critique voilée de Dave ?

On sent sur cette dernière chanson l'influence de la musique folk et de Bob Dylan en particulier. Idem sur "Too Much On My Mind", qui est bien arrangée, avec ses choeurs et son clavecin.

"Session Man" est un hommage aux musiciens de session. Elle est probablement dédiée à Nicky Hopkins, qui ouvre la chanson par un prélude de Bach.

"Rainy Day In June" est une des premières grandes réalisation du Ray poète et futur auteur de "Lazy Old Sun". Il y a ici une ambiance magique, produite par le piano (qui joue une pédale de basse), les percussions, les choeurs sur le refrain... Et rarement un bruitage (le tonnerre) a été aussi bien intégré à une chanson.

"A House In The Country" : la chanson la plus rock avec "Party Line". C'est une ode à un mec qui a eu un boulot quand son père ivre s'est vautré dans les escaliers... Sans mentir, les Kinks font mieux que les Beatles dans le genre. Le solo de Dave Davies est meilleur que ceux d'Harrison sur les morceaux des Beatles type Cavern. Et les arrangements sont plus raffinés (Nicky Hopkins au piano).

"Holiday In Waikiki" est une chanson que je trouve fascinante. Le son de guitare de Dave lors de ses glissandi : magique. Ici, c'est aux Stones de "19th Nervous Breakdown" qu'on pense, musicalement. C'est génial d'humour anglais. C'est juste un "english boy who won a holiday in waikiki".

"Most Exclusive Residence For Sale" : un autre bijou. La mélodie est très bonne, et Ray voit les choses de façon si pénétrante... C'est l'histoire d'un mec qui avait la plus grosse maison des environs, mais qui a dû la vendre. Il avait un "heart" mais pas de "head"...

"Fancy" est une chanson relativement expérimentale, qui explore les possibilités répétitives du raga indien, en lui ajoutant un trombone incongru. Ray s'inspire sûrement des expériences indianisantes des Beatles, qu'il a pu entendre l'année précédente dans Rubber Soul. A moins qu'il ne s'inspire... de lui-même, car sa chanson "See My Friends" de 1965 est à ma connaissance la première à recueillir les sons de l'Orient.

"Little Miss Queen Of Darkness". Dieu, que cet album est riche ! Voilà encore une autre merveille mélodique... Ca parle d'une fille que Ray "met accidentally / In a little discotheque". Stylistiquement, on pense cette fois au swing, avec ces accords de guitare frottés et cette basse mouvante...

"You're Lookin' Fine" a un riff de guitare rythm'n blues. Elle est néanmoins très kinksienne. C'est dû aux choeurs, peut-être...

"Sunny Afternoon" est le sommet de l'album et un des plus grands succès des Kinks. C'est une des premières fois que Ray construit une chanson sur une de ces descentes chromatiques qui deviendront sa marque de fabrique. On pourrait parler pendant des pages de toutes les marques de génie dont cette chanson fait preuve, des arrangements de piano à la désinvolture du chant (il s'agit d'un oisif qui boit une bière dans le parc de son château que les huissiers sont en train de vider) jusqu'à la conclusion géniale : des arpèges insolites, comme dans le "Hard Day's Night" des Beatles...

Enfin, "I'll Remember" permet à Daves Davies de faire admirer un son acéré. Ca n'exclut pas un sens mélodique consommé.

Magnifique galerie de vignettes douces-amères, Face To Face a suscité l'admiration de Lennon, homme de goût. Alors qu'il avait snobé les Kinks lors d'un concert, il écouta cet album pendant des jours et des jours. Il faut dire que Face To Face est peut-être supérieur à Revolver. Il est en tout cas moins inégal. Et il est dans l'ensemble bien plus subtil au niveau des textes.  

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr