J'ai presque honte, en vérité, de proposer ici cet album, tant la musique progressive a mauvaise presse. D'un autre côté, l'exigence d'éclectisme oblige à ne négliger aucun genre. Donc...
Aqualung, album le plus populaire de Jethro Tull, n'est pas encore à proprement parler un album progressif. Certes quelques éléments sont réunis : concept unifiant, paroles prétentieuses, musique relativement complexe associant le folk à un rock dur... Mais les chansons sont à taille humaine : l'album comporte onze chansons, aucune ne s'étendant au-delà de l'acceptable. Et l'instrumentation reste celle du rock traditionnel, si on met à part la flûte-signature de Ian Anderson.
En fait, Jethro Tull ne se jettera pas à pieds joints dans la musique progressive. Ce sera une lente acclimatation. Les albums précédents étaient taillés dans le folk. Avec celui-ci, Ian Anderson commence à se prendre au sérieux. Avec Thick As A Brick, il prétendra réaliser une performance : un album entier composé d'une seule chanson de quarante-cinq minutes. Il paraîtrait cependant que Thick As Brick n'est pas un album-concept. Ah bon... C'est pourtant la mise en musique d'un long poème d'Ian Anderson, attribué ridiculement à "Gerald Bostock", un enfant-prodige (beurk !! ça donne pas envie... le drame, c'est que la musique de Thick As A Brick est plutôt très bonne...). J'aurais pensé que... Pas grave ! Avec A Passion Play, tout est réuni pour qu'on ait affaire à un album-concept-progressif-définitif, etc. Et la coupe est pleine : c'est atroce.
Revenons à Aqualung. J'ai parlé de concept. Pour être exact, il faudrait parler de double concept. La première face concerne "Aqualung" : c'est le vieillard dessiné sur la pochette. On aurait pu croire que cette pochette renvoyait à l'univers de l'heroic fantasy, mais non... Ian Anderson s'est inspiré manifestement d'un clochard que sa femme avait pris en photo. Nous autres hypocondriaques et spécialistes ès-médecine, ça nous évoque plutôt un oedème du poumon. Ben justement, le clochard a des difficultés respiratoires. Donc "Aqualung"... La deuxième face est consacrée à une attaque des religions organisées, dénoncées comme la plus gigantesque hypocrisie ayant jamais souillé la face de cette planète. Nous, ça nous plaît bien, les croisades anti-religions ; encore faut-il que le croisé en question n'y aille pas avec ses gros sabots...
Les paroles sont donc à chier. La musique, par contre, est de premier plan. Toute personne qui écoute Aqualung, généralement, se déclare enthousiasmée après quelques écoutes. Jethro Tull fusionne ici les deux versants de sa musique, qui cohabitaient déjà dans un album comme Stand Up : folk et hard rock (on comprend que Tony Iommi ait joué un temps avec Jethro Tull).
Il arrive que ces deux pôles normalement inconciliables soient réunis au sein d'une même chanson. Prenons la chanson-titre, par exemple. Elle débute sur un riff rock mémorable, parcouru par des explosions de batterie, riff sur lequel Anderson a réussi l'exploit de construire un chant. On est forcé de reconnaître l'idiosyncrasie de cette musique. La deuxième partie de la chanson est folk. Montée progressive en intensité jusqu'au retour du riff initial.
"Cross-Eyed Mary" possède une intro avec flûte, ckaviers, basse et percussions d'une grande suggestivité. Le choeur de la chanson, lui, lorgne vers le hard rock, avec une guitare zeppelinienne.
"Cheap Day Return" est une chanson courte (presque un interlude)... mais elle est magnifique. Un duo de guitares acoustiques accompagne le chant, où Ian Anderson s'essaie à la douceur (si si).
"Mother Goose" a toute l'assurance d'un classique. On y sent plus que nulle part ailleurs l'influence du folklore britannique, dont Ian Anderson était un grand fan (il est né en Ecosse et est toujours resté attaché à ses racines écossaises) : la chanson démarre par ce qu'il faut appeler bien un riff folk. La flûte est employée comme instrument rythmique (!) de fort belle façon. On n'a pas surnommé Ian Anderson le "ménestrel" pour rien. Clive Bunker aux percussions. A peu près au milieu du morceau, la guitare électrique entre en scène...
Un deuxième morceau est construit sur un riff acoustique avec emploi de la flûte et des percussions : "Up To Me". La basse, cette fois, intervient dès le début du morceau. C'est une grande réussite, tant mélodique que rythmique. Le placement du riff est en effet très intéressant. Au milieu de toute cette allégresse, un pont survient : ce sont les accords de guitare plus que le chant qui y jouent un rôle mélodique. Remarquable !
"Wind'ring Aloud" : une assez belle balade de moins de deux minutes, où interviennent le piano et l'orchestre...
"My God" ouvre la deuxième face et introduit le deuxième concept, comme "Aqualung" avait introduit le concept de la première face. On peut être sceptique quant à la littérarité des paroles, mais on ne peut nier qu'Anderson ait été particulièrement inspiré, et ce dès les premières notes de l'introduction à la guitare acoustique. Insensiblement, le riff, l'échine de la chanson, apparaît. Il est très bon. Et le chant, lui aussi, est bon. "My God" est la plus longue chanson de l'album, mais elle a été structurée avec soin. Au bout de deux minutes, le riff devient électrique. Puis des solos de guitare et de flûte amènent une étrange section : des choeurs grégoriens aux voix déformées...
"Hymn 43" : une très bonne chanson de rock basée sur une grille d'accords descendants et sur un riff propice à des plans de guitare électrique (et de flûte !). Clive Bunker excellent de bout en bout à la batterie.
"Slipstream" : splendide interlude acoustique, comem "Cheap Day Return" sur la première face. Le duo de guitares est ici soutenu discrètement par l'orchestre.
"Locomotive Breath" est le morceau le plus furieux de l'album. Il a souvent servi de prétexte à des improvisations effrénées en concert. L'intro de piano paraît pourtant indiquer quelque chose de plus calme, mais rapidement le riff se met en place.
"Wind Up" est la seule chanson faible de l'album. La mélodie, facile et s'étalant largement sur une grille d'accords convenus, m'est tout simplement insupportable. L'accompagnement est d'abord fait au piano, puis s'électrise sans nuances. Forcément, quand on se prend pour un héraut moderne dont les avis dérangent ("You can excommunicate me"), il faut bien que la musique finisse par porter, elle aussi, des traces de médiocrité. Renaud aussi se flatte d'avoir des idées, et ses mélodies sont dégueulasses de facilité. Ce n'est peut-être pas un hasard...
Dix excellentes chansons sur onze : bilan tout à fait correct. Aqualung est un bon album, joué par de bons musiciens. Ian Anderson avait développé un jeu à l'acoustique très original. Clive Bunker impressionne. Et Martin Barre réchauffe la palette grâce à un son électrique bien rauque.
|
|