Axis : Bold As Love - Hendrix, Jimi (1967)


1. Exp
2. Up From The Skies
3. Spanish Castle Magic
4. Wait Until Tomorrow
5. Ain't No Telling
6. Little Wing
7. If 6 Was 9
8. You Got Me Floatin'
9. Castle Made Of Sand
10. She's So Fine
11. One Rainy Wish
12. Little Miss Lover
13. Bold As Love

 

Des trois albums enregistrés par The Jimi Hendrix Experience, le deuxième, Axis : Bold As Love, est le plus sous-estimé, éclipsé qu'il est par les tapageurs Are You Experienced de 1967 et Electrid Ladyland de 1968. Tout bien considéré, c'est pourtant le plus dense et le plus efficace, d'assez loin d'ailleurs.

Are You Experienced avait fait beaucoup de bruit, révélant au monde les incroyables dons de Jimi Hendrix. Les dix chansons qu'il regroupait n'étaient pourtant pas toutes sans faille. Et il ne contenait pas les singles qu'on associe souvent aux débuts de Hendrix, "Hey Joe", "Purple Haze" et "The Wind Cries Mary". Ceux-ci sont certes disponibles en bonus tracks mais, sauf à tricher, on ne peut pas créditer l'album original de leur présence.

Avec Axis, Hendrix va réaliser un véritable miracle, puisqu'il va remplir ses obligations contractuelles (enregistrer deux albums au cours de la seule année 1967) sans jamais sacrifier la qualité artistique.

Axis est un album qui tire bien plus parti des ressources du studio que le précédent. Des chansons comme "Red House" ou "Foxy Lady" avaient été conçues pour la scène. A l'inverse, en dehors de "Little Wing" et de "Spanish Castle Magic", aucune chanson d'Axis ne s'imposera dans le répertoire live du Cherokee. Ce qui pourrait apparaître comme l'effet de lacunes est au contraire dû aux éminentes qualités de l'album : album très écrit, avec une production explorant toutes les ressources du studio (et donc difficile à reproduire sur scène).

Axis est aussi plus ambitieux que Are You Experienced : il s'ouvre à des influences nouvelles (le jazz sur "Up From The Skies"), il incorpore des harmonies bien plus audacieuses... Bref, il s'éloigne du blues-rock des débuts.

Mais cela se fait en évitant l'écueil du too much, si l'on peut dire, écueil que n'évitera pas le troisième album, Electric Ladyland, dans lequel on trouvera des chansons un peu trop expérimentales, ainsi que des jams insuffisamment centrées.

Axis est l'album le plus anglais de l'Experience : il est psychédélique et intègre le meilleur de la pop, à savoir un sens de la concision et de la mélodie.

On y trouve les plus belles ballades de Jimi Hendrix, dont l'increvable "Little Wing". Hendrix y donne là le plus bel exemple de son style mi-rythmique mi-lead (à lui seul il jouait ce qui ordinairement requiert deux guitaristes). Le son, ondoyant comme dans un rêve, a été obtenu en faisant passer le son de la guitare dans une cabine Leslie, usuellement employée pour les orgues. La distorsion (légère) contribue à rendre le son atypique.

Les autres ballades : "Castles Made Of Sand", tout d'abord. Cette chanson, qu'ouvre et referme un étrange passage de guitare indianisant, est tout à la fois enjôleuse comme une ballade et nerveuse comme du funk. Les châteaux de sable dont il est question, ce dont les illusions dont on se berce, et qui finissent invariablement engloutis par le tragique quotidien (ou par la mort). Chacun des couplets illustre cet aphorisme, avant que résonne le riff, dur et tortueux, qui accompagne le refrain. Le solo, joué en "backward" (à l'envers), atteste mieux que tout autre des hallucinants dons musicaux de Hendrix. Que le lecteur se rende compte... Tout a été joué en commençant par la fin, et pourtant le solo lance merveilleusement la partie vocale qui lui succède... Stupéfiant !

"One Rainy Wish", à laquelle le titre "Gold And Rose" eût mieux convenu, est le récit d'un rêve (comme "Purple Haze"). Rêve d'automne, apaisé et où on couve du regard l'être aimé. Le son de guitare, magnifique, a été obtenu en associant fuzz et sustain, grâce à une des "magic" pédales de Roger Mayer, appelée "octavia" par Jimi. Pour ma part, je ne me lasse pas d'écouter la mélodie rêveuse des couplets, qu'enrobent les arpèges descendants de la guitare. Puis il y a le refrain, en 4/4 (alors que le couplet est à 3 temps).

Dernière ballade : "Bold As Love", un classique, et qui est historiquement la première chanson à accueillir un phasing stereo. Hendrix voulait obtenir un "heavenly sound" (un son rêveur). Il y a magnifiquement réussi... Ecoutez la fin de la chanson, on a l'impression que le son coule par vagues... Les paroles sont un kaléidoscope de couleurs (Hendrix associant une couleur à chaque sentiment)... Même la batterie de Mitch Mitchell est déformée par des effets (du flanger).

La première plage de l'album n'est qu'une plage introductive. On y entend les voix de Mitch Mitchell et de Jimi déformées (ils parlent d'extra-terrestre). Bruitages bizarres bien dans l'air du temps, etc.

"Up From The Skies" a une belle progression harmonique jouée à la guitare (à laquelle la wah-wah donne un surcroît de groove) accompagnée par la batterie swinguante de Mitch Mitchell, qui joue ici aux balais comme un jazzman. Les paroles sont dans la lignée de celles de "Exp" (des extra-terrestres ayant jadis visité notre planète et revenant voir ce qu'elle est devenue).

"Spanish Castle Magic", qui a connu un regain de popularité en raison de son utilisation dans un jeu vidéo (intitulé "Guitar Hero"), alterne des couplets basée sur une descente rythmique (qui, si la chanson avait été issue plus tard, lui aurait valu des comparaisons zeppeliniennes), et des refrains en distorsion sauvage.

"Wait Until Tomorrow" a un riff rythm'n blues/funk et un refrain où Mitch et Noel, en choeur, ponctuent les mots de Jimi. Emballant.

Mais la chanson la plus violemment jouissive de l'album est sûrement la courte "Ain't No Telling". Deux jours avant l'enregistrement, le groupe s'était fait virer du London's Marquee Club, sous prétexte qu'il jouait trop fort ! Cette chanson dégage une énergie inouïe. Pas un moment de répit. Mitch Mitchell, qui adopte un temps les rythmes de fanfare, se déchaîne et, comme peut-être nul autre batteur n'eût su le faire, arrive à suivre Jimi dans sa folie pleine de bends de guitare et de changements de rythmes.

"If 6 Was 9" est une des chansons que Hendrix préférait sur l'album, avec "Little Wing". Elle a d'ailleurs été reprise dans la plupart des compilations. Elle commence par un topos du blues-rock, mais elle est surtout développée avec beaucoup de classe. On peut presque parler de polyrythmie, puisqu'à un moment Noel joue sur un rythme, Mitch sur un autre, et que Jimi exécute un solo planant, dans les aigus... Il joue aussi au même moment d'une espèce de flûte indienne... Les paroles, qui témoignent de son goût pour la numérologie, influenceront Robert Plant pour la chanson "Thank You" : "If the sun refuses to shine..."

"You Got Me Floatin'" : chanson allègre, avec rythmique funk et choeurs pendant le refrain (un peu comme "Wait Until Tomorrow". Les mecs de The Move (dont le génial Ron Wood) participent aux choeurs.

"She's So Fine" est la première chanson enregistrée par The Jimi Hendrix Experience qui n'ait pas été écrite par Jimi Hendrix. Elle est l'oeuvre du bassiste Noel Redding... et elle est très anglaise. Comme l'avait dit Jimi, la tradition anglaise oblige à "forcer sur la mélodie" (alors que la musique américaine viendrait de la terre et demanderait plus de rythme). Cette fusion des mélodies de la pop (les voix haut perchées et planantes sur les refrains) et des guitares en distorsion héritées du blues-rock n'est pas sans évoquer le groupe Cream.

"Little Miss Lover" est un morceau précurseur du funk auquel Jimi Hendrix s'adonnera plus tard. Le son est incroyablement lourd. Hendrix joue en étouffés et utilise la wah-wah. De plus, le son est passé à travers une pédale "octavia". Noel Redding, lui, utilise sa basse 8-cordes.

Au final, je ne peux pas absolument pas comprendre comment certains peuvent préférer le premier ou le troisième album de The Jimi Hendrix Experience à celui-ci. Je vais être péremptoire mais il le faut : s'ils préfèrent ces albums, c'est qu'ils se laissent influencer par les réputations établies et qu'ils n'ont pas écouté Axis : Bold As Love. Je conviens qu'il y a quelques morceaux qui atteignent la stratosphère sur Electric Ladyland, mais la production est trop chargée, le son est souvent confus, les morceaux sont souvent trop longs, trop improvisés...

Autre atout d'Axis par rapport à son successeur : il a été enregistré par un groupe très uni, un groupe compact. Ce ne sera plus le cas par la suite... Le lien entre Jimi et Noel se distendra et les séances d'enregistrement deviendront de plus en plus irrégulières...Après Electric Ladyland, Hendrix commettra l'erreur de s'associer à Buddy Miles, qui n'avait pas la technique de jazzman de Mitch Mitchell. Buddy Miles n'était qu'un batteur de soul de second ordre... Mitch Mitchell, lui, a été l'alter ego de Jimi. Les deux hommes avaient développé une véritable relation synesthésique. Ils n'avaient pas besoin de répéter ; ils se comprenaient par le regard. 

              Damien Berdot
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