L'Australie a produit des groupes de premier plan en quantité non négligeable : les Triffids, les Apartments, les Go-Betweens... Les deux derniers ont pris forme dans la ville de Brisbane, qui a fait office de havre de la pop raffinée dans une décennie 80 où l'image primait par trop sur la musique. Il faudrait d'ailleurs se demander si Orson Welles n'avait pas raison, quand il disait que l'Italie, en trente ans de tyrannie sous les Borgia, avait produit des génies immortels, alors que la Suisse, en cinq siècles de démocratie, n'avait produit que la pendule à coucou. Ce fut en effet une période troublée pour Brisbane et le Queensland que la fin des années 70 : Joh Bjelke Petersen gouvernait l'Etat avec des méthodes rien moins qu'autocratiques. Grant McLennan, co-fondateur des Go-Betweens, fut d'ailleurs arrêté lors de manifestations estudiantines.
De tous les les groupes australiens que nous venons de citer, les Go-Betweens sont incontestablement le plus important. Avec XTC, ils ont été pendant les eighties les plus remarquables porte-flambeaux d'une pop-rock raffinée, montrant toujours une sincérité poignante et un goût infaillible. Il faut rendre grâce à certains critiques tel Robert Christgau qui a proclamé hautement la supériorité des Go-Betweens sur tous les autres groupes de leur temps. Les Inrockuptibles, qui en d'autres occasions ont été moins clairvoyants, n'ont pas non plus ménagé leur soutien aux "messagers".
Les Go-Betweens, c'est avant tout une histoire d'amitié entre deux hommes, Robert Forster et Grant McLennan. Robert Forster était encore étudiant, passionné de musique pop-rock, quand il découvrit que son condisciple Grant McLennan était capable de s'enthousiasmer pour le cinéma français de la Nouvelle Vague tout autant que lui pour le Velvet Underground. Forster convainquit bientôt McLennan de se mettre à la basse et de s'associer à lui pour former un groupe. Et comme McLennan avait un sens artistique développé (dixit Forster), en quelques mois il devint opérationnel. Il s'avéra aussi qu'il avait une voix magnifique (tout comme Forster).
De 1978 à 1988, les Go-Betweens ont publié six albums avant de se séparer, minés par le manque de succès. Pourtant, ils planaient bien au-dessus de la mêlée. Dans le même temps qu'il portait aux nues les Go-Betweens, Robert Christgau démolit sauvagement les Smiths et Prefab Sprout, deux groupes surévalués par les critiques anglais. Il avait raison, en l'occurrence... La musique des Go-Betweens est infiniment plus complexe, plus mélodieuse et plus soigneusement arrangée que la musique des Smiths. Et les Go-Betweens n'ont jamais connu de période sombre. Ils se sont reformés en 2000 et ont enregistrés trois nouveaux albums, tous très corrects. On est loin des déchets produits dans les années 2000 par Paddy McAloon, le leader de Prefab Sprout...
En 2006, tragiquement, a été annoncé le décès de Grant McLennan, mort à seulement 48 ans d'un arrêt cardiaque. Robert Forster, immédiatement, a décrêté la fin des Go-Betweens. Il a ensuite rendu hommage à son ami, rapportant qu'il avait reçu d'innombrables témoignages de gens que l'érudition et la gentillesse de Grant McLennan avaient marqués.
S'il n'y a pas de mauvais disque des Go-Betweens, il y a quand même une période particulièrement faste : celle qui va de Liberty Belle & The Black Diamond Express (1986) à 16 Lovers Lane (1988).
J'ai une affection particulière pour Liberty Belle, d'abord parce que c'est le premier de ces chefs d'oeuvre, et ensuite parce que c'est le plus spontané. Andrew Müller a écrit, de reste, que ce n'était pas seulement le meilleur album des Go-Betweens, mais le meilleur album de tous les temps. Ces exercices de cotation hyperboliques donnent une idée de la passion que les Go-Betweens ont pu susciter (dans des cercles restreints, hélas).
Difficile d'extraire des chansons tant il y a de cohésion dans cet album... La chanson inaugurale, "Spring Rain", accroche immédiatement l'auditeur. Les voix de Forster et McLennan se répondent magnifiquement sur le refrain, pendant que la guitare acoustique du premier et la guitare électrique carillonnante du second se complètent d'admirable façon.
Les arrangements sont très délicats, avec de l'accordéon sur "Ghost And The Black Hat" et une section de cordes qui vient ponctuer plusieurs chansons de l'album.
Autant Forster que McLennan brillent dans le genre de la ballade. "Twin Layers Of Lightning" est extraordinaire. Il y a d'abord des notes de guitare écartées, qui se posent sur un tapis de basse lourd comme le bush australien. Il y a un piano, un xylophone... Et puis il y a la voix mélancolique et si stylée de Robert Forster, qui a retenu le meilleur de Lou Reed... "Wrong Road" est extraordinaire. C'est peut-être même la meilleure chanson de McLennan. Chanson à trois temps, langoureuse, basée sur un riff obsédant...
Cet album est conseillé à tous ceux qui ont développé une allergie aux années 80. Ils se rendront compte que rien n'est jamais perdu : en plein coeur de la décennie des clips et de la musique dansante, un groupe australien proposait une musique d'une authenticité touchante. Ce Liberty Belle, c'est sans conteste ce qui pouvait se faire de mieux en 1986.
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