On n'a plus idée, aujourd'hui, de la déferlante que Creedence Clearwater Revival a suscitée. En 1970, Creedence était tout simplement le meilleur groupe de rock'n roll du monde et le plus gros vendeur de disques. Il faut dire que Creedence avait beaucoup d'atouts. Une rythmique impeccable (Stu Cook à la basse et Doug "Cosmo" Clifford à la batterie)... Un chanteur à la voix chaude, capable d'interpréter tous les standards du rock avec fougue, doublé d'un excellent songwriter : John Fogerty... Sans oublier un frère encombrant, qui voulait devenir calife à la place du calife et qui finira par quitter le groupe à mi-parcours...
Si je conseille ici l'achat d'une compilation plutôt que d'albums, c'est pour plusieurs raisons. D'abord... le prix : les albums de Creedence comportent généralement dix titres alors qu'on trouve d'excellentes compilations d'une vingtaine de titres à prix modique. D'autre part, Creedence, en trois ou quatre années de succès, a sorti des albums à une cadence infernale. De mars 1969 à août 1970, ce ne sont pas moins de 4 albums qui ont rejoint les bacs des disquaires : Bayou Country, Green River, Willy And The Poor Boys et Cosmo's Factory. Tous ces albums, au demeurant, sont bons. Mais ils ne sont pas parfaits... Si on prend l'exemple de Cosmo's Factory (un des albums de Creedence les plus cotés avec Willy And The Poor Boys), sur 11 titres, 7 figurent sur la compilation Chronicle. Mais 3 des titres restants sont des reprises, et des reprises qui me gênent beaucoup : "Before You Accuse Me" de Bo Diddley (connu par certains grâce à la reprise d'Eric "le mou" Clapton), "Ooby Dooby" (de Roy Orbison) et "My Baby Left Me" (un blues d'Arthur Crudup évidemment popularisé par le King en personne). Ces deux dernières chansons, dans leurs versions originales, étaient interprêtées avec toute la souplesse dont les orchestres de rockabilly étaient capables. Là, évidemment, ça swingue beaucoup moins... C'est même très empesé. J'ai développé une allergie toute personnelle aux reprises de ce genre.
Que contient Chronicle, vol. 1, une des compilations les plus populaires de Creedence (quel que soit le côté de l'Atlantique envisagé) et vendue au prix exceptionnel de... 13 euros ? Toute ressemblance avec une émission télévisuelle, etc.
Premier tube de Creedence : "Susie-Q". C'est évidemment une reprise du classique du génial Dale Hawkins. Creedence a déjà son son de guitare légendaire, transormé par l'utilisation du trémolo et rendu moite comme une forêt de Louisiane. Avec un tel son, on croira pendant longtemps que Fogerty venait du "bayou". En fait pas du tout... Il n'avait jamais quitté la Californie. J'ai souvenir d'une interview où il expliquait comment il composait : dans le noir, avec pour seule lumière les lampes de son ampli, se créant un univers sudiste dans la tête... Un romancier a-t-il besoin de connaître les lieux qu'il décrit ? Stendhal ?
Pour renforcer encore l'identification entre le groupe et la Louisiane, Creedence reprit "I Put A Spell On You", du dérangé Screamin' Jay Hawkins. L'original est préférable, mais bon...
"Proud Mary" est la première grande chanson signée John Fogerty. Là, il y a invention de quelque chose qui sera durable et marquant. Riff rhythm'n blues, mélodie empreinte d'accents country et paroles symboliques ("big wheel keep on turning" : évocation des roues à aubes des steamers).
Cette chanson, ainsi que "Lodi" (une belle mélodie country) et "Bad Moon Rising", figurent sur le premier grand album de Creedence, Bayou Country. La dernière citée est un grand chef d'oeuvre. Même Stephen King en parle, dans Shining...
Sur l'album suivant, Green River, figurent deux grands classiques de Creedence, la chanson-titre, avec son riff entraînant et un son toujours aussi touffu, et "Commotion". Celle-là est la chanson la plus rock qu'ait jamais fait. C'est un déluge de (formidables) riffs de guitare, renforcés par l'harmonica. Quelle rythmique ! Et quel performer remqriable que Fogerty !
Troisième album notable : Willy And The Poor Boys. Il contient "Fortunate Son" (un grand morceau de rock) et "Down On The Corner", enregistré dans la rue, avec pour seule percussion une planche à laver : Fogerty était non seulement un grand songwriter mais aussi un artisan-producteur de talent.
L'album dont nous avons parlé au début de la présente notice : Cosmo's Factory. "Travelin Band", c'est du simili-Little Richard avec cuivres. A fuir. Il y avait bien d'autres classiques de Creedence à choisir plutôt que cette saleté dénuée d'intérêt... Où est "Born On The Bayou" ? Sur Cosmo's Factory, Fogerty révèle une corde sensible : "Who'll Stop The Rain" (la pluie étant ici le déluge qui s'abat sur les forêts du Viet-Nam) et "Long As I Can See The Light" sont lentes et magnifiques. Tout aussi magnifique : "Lookin' Out My Back Door", avec sa guitare bottleneck country. Dieu ! que Fogerty chante bien ! "Up Around The Bend" est un rock surpuissant (avec choeurs) dans la lignée du "Fortunate Son". Avec "Run Through The Jungle", Fogerty réalise un miracle, en ce qu'il parvient à écrire une chanson à un seul accord qui soit totalement convaincante. Jamais le son de Creedence n'a aussi moite et étouffant que pour cette chanson sur le Vietnam. Enfin, "I Heard Through The Grapevine" est une reprise d'un des grands succès de Marvin Gaye. Creedence se l'approprie avec un aplomb et un génie incroyables, étendant la chanson au-delà des 11 minutes. La batterie de Clifford claque mieux qu'elle n'a jamais claqué.
Pendulum marque le début de la fin pour Creedence. Fogerty tente de se renouveler, de complexifier ses grilles d'accords... "Have You Ever Seen The Rain" surnage : c'est une vraie belle chanson. "Hey Tonight" est un rock comme Creedence en a réussi tant ; mais le son manque ici par trop de dynamique. Curieux... Quelques mois auparavant, Creedence avait un son plus chaud que les Stones...
Mardi Gras, c'est le naufrage final. Fogerty, voulant jouer le jeu dangereux de la démocratie, a laissé les coudées franches à ses comparses. Chacun y est allé de ses compositions. Les pauvres Cook et Clifford eussent mieux fait de s'essayer au jardinage... Un titre à sauver tout de même : "Sweet Hitch-Hiker", un rock rapide et nerveux, avec un Fogerty chantant toujours aussi bien.
|
|