Safe As Milk - Captain Beefheart (1967)


1. "Sure 'Nuff 'n Yes I Do" (Don Van Vliet/Herb Bermann) – 2:15
2. "Zig Zag Wanderer" (Van Vliet/Bermann) – 2:40
3. "Call On Me" (Van Vliet) – 2:37
4. "Dropout Boogie" (Van Vliet/Bermann) – 2:32
5. "I'm Glad" (Van Vliet) – 3:31
6. "Electricity" (Van Vliet/Bermann) – 3:07
7. "Yellow Brick Road" (Van Vliet/Bermann) – 2:28
8. "Abba Zaba" (Van Vliet) – 2:44
9. "Plastic Factory" (Van Vliet/Bermann/Jerry Handley) – 3:08
10. "Where There's Woman" (Van Vliet/Bermann) – 2:09
11. "Grown So Ugly" (Robert Pete Williams) – 2:27
12. "Autumn's Child" (Van Vliet/Bermann) – 4:02

 

Le mélomane ayant écouté Trout Mask Replica ou celui voyant en Beefheart un cinglé vivant dans le désert (ou pire : un pote de Zappa), risque d'être passablement décontenancé à la première écoute de Safe As Milk. En effet, ce que nous propose le premier titre, "Sure 'Nuff 'N Yes I Do", c'est de la musique "normale". Du blues... Et un blues étonnamment proche de celui qu'avait développé Muddy Waters à Chicago. Van Vliet imite à la perfection les intonations du vieux boueux, ne surjouant qu'en de rares occasions. Même les paroles font illusion : "'I was born in a desert, came up from New Orleans / Came up on a tornado sunlight in the sky / I went around all day with the moon sticking in my eye".

Immédiatement, on remarque la qualité des accompagnateurs, notamment celle du guitariste qui joue de la slide comme un black. Un petit détour par la pochette met fin à l'étonnamment : le gars en question, c'est le jeune Ry Cooder.

Cette première chanson, plutôt respectueuse, n'est rien à côté des morceaux qui suivent. "Zig-Zag Wanderer", un blues-rock aux guitares qui claquent formidablement bien... "Call On Me", aux accents R&B, où la guitare passe avec succès des arpèges à des accords joués avec frénésie... Le son est super crade (comme il sied à du blues). On pense à un groupe garage. On imagine ces mecs-là répéter inlassablement leurs rythmiques groovy dans des caves miteuses... Plus loin, le bassiste se la joue Entwistle, avant que la coda ne fasse entendre des sonorités plus innovantes (du Hammond)...

N'en faisons pas mystère : s'il faut acheter cet album, c'est parce qu'il nous offre le blues-rock le plus jouissif qui soit. Même les Stones des débuts ("I'm A King Bee", "Route 66", etc.) ou de Beggar's Banquet sont enfoncés.

Plus loin, "Plastic Factory" donne la confirmation de ce qu'on commençait à comprendre : le Captain et son Band constituaient tout simplement le meilleur groupe de blues blanc des sixties. Il faut écouter cet harmonica furieux ainsi que la voix de catacombes du Captain... Ce dernier était réputé par sa capacité à adopter des timbres effrayants et par sa tessiture de cinq octaves...

La tonalité blues-rock n'empêche pas l'excentricité de Beefheart de percer (déjà), entres autres par des changements de rythme inattendus. Ainsi, dans "Plastic Factory", il y a un passage où la rythmique change et passe à trois temps, sans que jamais ne s'affaiblisse ce fantastique son de guitare crunchy.

Dans le même genre (du blues dont la structure solide est attaquée par des changements de rythmes), il y a "Grown So Ugly". Plusieurs des poncifs rythmiques du blues-rock y passent, mais c'est plus fou, plus emballant que tout ce qu'on connaît... Meilleur, tout simplement. Il y a aussi "Yellow Brick Road", avec sa guitare slide vibrante, sa batterie swinguante et son refrain cassant, chanté en choeur. Du très bon, vraiment.

Beefheart était un grand fan de blues. Il ne fait donc aucun doute que dans sa démarche il y avait une forme d'hommage. D'un autre côté, l'homme était sarcastique et donnait volontiers dans la parodie. On ne sait guère comment il faut prendre "I'm Glad"... Satire des ballades soul mièvres ? Il y a comme de la pose dans certaines inflexions vocales...

Que penser aussi de l'outrance de "Dropout Boogie", où est répétée inlassablement une cellule rythmique basique où se distingue une guitare fuzz ? Difficile d'être plus répétitif... Caricature de la simplicité du rock ? En ce cas, la démarche de Beefheart serait parallèle à celle de Zappa, qui très peu de temps auparavant avait sorti Freak Out, où il se moquait gentiment de tous les clichés à la mode.

Les autres chansons sont toutes aussi démentes. "Electricity", dans son atypicité, est très intéressante. Beefheart chante avec une voix de malade, il y a des sons de slide inouïs. Quant à "Abba Zabba", sa mélodie excentrique se pose sur des percussions africaines (une première, sans doute) et des parties de guitare constamment accrocheuses.

"Where There's A Woman" mêle ces mêmes percussions a une guitare twangy et aux sons du Hammond, avant que n'éclate le refrain, scandé par des choeurs puissants (et touchants), par-dessus une descente harmonique. "Autumn's Child", sans doute une des chansons les plus faibles de l'album, mise d'une part sur la bizarrerie (un choeur qui annonce presque la musique progressive à force d'être déjanté : c'est un des rares moments de l'album où les excès rebutent) et sur l'aptitude de Beefheart à chanter soul... Chanson trop longue (la plus longue), qui ne touche pas.

En dehors de cette dernière chanson (et peut-être de "I Am Glad"), tout est de bon niveau, en somme. C'est une musique qui sonne comme le meilleur blues-rock et qui, en outre, profite de la personnalité extravagante de Beefheart. Safe As Milk est donc recommandable. Je n'en dirai pas autant de Trout Mask Replica. C'est aujourd'hui inécoutable comme les pires manifestations de l'époque progressive. Rien d'autre à en dire. Point. 

              Damien Berdot
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