Une discothèque digne de ce nom ne pourrait exister sans contenir au moins un album des Byrds. Les Byrds ont été conçus comme la réponse américaine aux Beatles. Ils ont traversé les sixties en incorporant à leur musique tout ce qui flottait dans l'air californien : ils ont inventé le folk-rock en jouant les premiers titres de Dylan sur des instruments électriques (cf Mr Tambourine Man), ils ont créé plusieurs antiennes de la musique psychédélique (comme "Eight Miles High"), ils ont vulgarisé le country-rock avec Sweetheart Of The Rodeo...
Les Byrds ont été le lieu de rendez-vous de plusieurs personnalités particulièrement influentes. Roger McGuinn, tout d'abord, est probablement le plus célèbre joueur de 12-cordes de l'histoire. Même les Beatles ont été influencés par cette guitare carillonnante (sur "If I Needed Someone"). Juste retour des choses, puisque McGuinn s'était lui-même inspiré du jeu de Harrison sur des chansons comme "You Can't Do That"... Les Byrds ont aussi compté dans leurs rangs David Crosby, le futur porte-parole de la jeunesse hippie ; Gene Clark, le génie timide, qui réalisera en solo au moins deux albums marquants ; et enfin Chris Hillman, bassiste inventif au point de rivaliser avec Paul McCartney, qui partira plus tard stimuler les Flying Burritos Brothers aux côtés de Gram Parsons.
Cet album-ci, Younger Than Yesterday, est important à plusieurs titres.
Tout d'abord, c'est incontestablement le meilleur album des Byrds. Le seul album qui, de l'avis général, pourrait lui contester ce titre, c'est The Notorious Byrd Brothers. Mais ce dernier manque décidément par trop de personnalité. Les moments de grâce y sont rares, et il mise en fin de compte plus sur l'habillage psychédélique que sur les mélodies. Quant à Sweetheart Of The Rodeo, son statut de pierre fondatrice du country-rock ne le rend pas davantage consistant.
Younger Than Yesterday est aussi le meilleur album auquel ait participé Gary Usher, le producteur et démiurge dont le nom sera à jamais associé à la sunshine pop californienne : Sagittarius, Millenium, etc. Si cette musique inspirée par Pet Sounds produisit quelques singles lumineux et enjôleurs, ce ne fut jamais la matrice d'albums denses, à défaut peut-être de songwriters expérimentés. Avec les Byrds, Usher trouva les hommes qu'il lui fallait.
La production de Younger Than Yesterday est parfaite. Chaque ligne instrumentale est claire. Les choeurs sont somptueux. Ca, c'est pour le côté sucré.
Mais il y a aussi ici des éléments acides, et c'est ce qui fait toute la différence : guitare sitaresque de McGuinn, harmonies étranges de Crosby...
L'album s'ouvre sur un single mémorable : "So You Want To Be A Rock 'N' Roll Star". Ne pas s'y tromper : ce n’est pas du Oasis ; c'est une critique sarcastique des manipulations de l'industrie du disque. Hillman et McGuinn avaient les Monkees dans le collimateur, lors de l'écriture des paroles. Les choeurs virtuoses sont accompagnés par une rythmique nerveuse. Une trompette traverse toute la chanson. C'est différent des trompettes de Forever Changes ; mais c'est tout aussi génial.
Ce qui est le plus frappant, sur cet album, c'est l'émergence de Chris Hillman au rang de compositeur majeur. Dans tous les groupes dans lesquels il est passé, Hillman a privilégié l'harmonie collective, n'hésitant pas à se mettre en retrait quand il s'estimait inférieur à des songwriters aussi brillants que Gene Clark ou Gram Parsons. Et pourtant, il n'avait aucunement à se sentir complexé. "Have You Seen Her Face" dispose d'une mélodie catchy enthousiasmante. C'est une des chansons de l'album que je préfère. La guitare de McGuinn claque avec grâce.
Hillman a encore écrit pour cet album deux chansons country, avec Clarence White (futur membre des Byrds) à la guitare lead. Ces chansons sont merveilleusement arrangées. Hillman a enfin écrit "Thoughts And Words", qui est sans doute sa plus belle création. Elle est basée sur une grille d'accords descendante. Mais Hillman parvient à renouveler brillamment ce topos de la musique populaire. La grille descend sur la fin par demi-tons, ce qui donne un caractère singulier à la chanson. La guitare rythmique de McGuinn carillonne plus que jamais. Ajoutez à cela un solo constitué de boucles de guitares jouées à l'envers... et vous obtiendrez la chanson psychédélique parfaite, parsemée des couleurs du LSD.
David Crosby, quant à lui, a composé deux magnifiques chansons : "Renaissance Fair" et "Everybody's Burned", rehaussées par un jeu de basse virevoltant de Chris Hillman. "I think that maybe I'm dreaming" : ainsi débute "Renaissance Fair". Chanson proposant des chœurs puissants et mélodieux. "Everybody's Burned" est une chanson plus lente, planante, comme le sera plus tard "Guinevere". Sur des arpèges aux harmonies singulières (que seul Crosby, avec son oreille formée à diverses traditions musicales, pouvait imaginer), un chant magnifique et un peu mélancolique se déploie. McGuinn se met au diapason de Crosby et balbutie, comme il le fallait, un solo glissant vers l'atonalité... En écoutant ça, on se dit qu'il est bien dommage que Crosby ait gâché son talent. Dommage également qu'il n'ait pas pu participer jusqu'au bout à l'enregistrement de The Notorious Byrd Brothers.
L'album propose une reprise de Bob Dylan, "My Back Pages". C'est pour moi la plus belle reprise de Dylan par les Byrds.
On s'accorde généralement à dire que Younger Than Yesterday est impressionnant, mais qu'il a quelques faiblesses. J'ai lu parfois des critiques à l’encontre de "C.T.A. - 102", la troisième chanson de l'album, composée par McGuinn. Cette ode naïve aux quasars contient des bruitages qui se veulent en rapport avec l'espace, créés à l'aide d'un oscillateur. Ce n'est pas un ratage. La partie chantée, qui précède la section à bruitages, a une mélodie qui s'accorde parfaitement avec les deux chansons qui la précédent, et on se prend à la chanter à ses moments perdus. Le seul vrai écueil du disque, c'est "Mind Gardens", une chanson totalement atonale de David Crosby. Je vais passer pour cinglé, mais je m'y suis réellement habitué. Crosby a des inflexions de voix qui rendent la pilule douce-amère, et l'arpège de guitare est plutôt joli. Du reste, ces deux chansons, les seules qui soient contestables, ne sont pas longues comme les délires qui défigurent certains albums de groupes psyché. La première fait 2:30 ; la seconde 3:30. Cet album demeure calibré pop. C'est très bien comme ça.
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