Closer - Joy Division (1980)


1. "Atrocity Exhibition" – 6:06
2. "Isolation" – 2:53
3. "Passover" – 4:46
4. "Colony" – 3:55
5. "A Means to an End" – 4:07
6. "Heart and Soul" – 5:51
7. "Twenty Four Hours" – 4:26
8. "The Eternal" – 6:07
9. "Decades" – 6:10

 

Closer est un album moins accessible qu'Unknown Pleasures : il s'éloigne bien davantage encore des modèles de son époque que son prédécesseur. La guitare en distorsion héritée du punk cesse d'être l'instrument proéminent pour se faire de plus en plus impressionniste. A l'inverse, les climats synthétiques prennent de plus en plus de place (comme l'a dit quelqu'un, si Joy Division avait eu l'occasion de réaliser un autre album, ça aurait été un album de... New Order).

Album à la texture plus ajourée, en somme, même si le mixage tend à fondre les pistes l'une dans l'autre au lieu de les découper.

Tout se passe comme si le groupe s'était appliqué méticuleusement à chasser de sa musique tous les poncifs et tics d'écriture, autant de scories empêchant la sincérité.

Les cinq premières chansons (qui composent la première face) reprennent les choses là où Unknown Pleasures les avait laissées : c'est sombre. La chanson inaugurale, "Atrocity Exhibition", empreinte d'ailleurs son titre à un roman morbide de James Ballard (l'auteur de Crash). La batterie installe une sorte de transe vaudou. La guitare n'est pas affectée à un rôle (au fond peu valorisant) d'accompagnement ; elle a pour but le sabotage : stridences, déchirures... Excellente ouverture.

Avec "Isolation", on perçoit mieux ce que cet album a de différent du précédent. La batterie : un beat presque dansant. L'espace est envahi par un clavier bancal, installant une ambiance oppressante, d'autant plus que la voix de Ian Curtis est celle d'un vieillard grabataire...

Il n'y a jamais de solos véritables dans les chansons de Closer. Le solo stricto sensu, qui distrait, est logiquement interdit, alors que s'impose la répétition, qui démultiplie l'essentiel et le rend plus frappant.

La chanson suivante, "Passover", illustre mieux qu'aucune autre cette volonté d'épure : batterie mécanique, basse cantonnée à une fonction de pédale (elle répète la même note quasiment tout au long de la chanson)... Seules quelques harmoniques de guitare viennent compléter la batterie obstinée lors du premier couplet ! Une telle radicalité est chose rare...

On retrouve les mêmes procédés dans "Colony" : un motif de basse et de batterie est répété en boucle, du début à la fin, pendant que la guitare fait dans les éclaboussures (son sale). L'influence de groupes allemands comme Can sur Joy Divison apparaît incontestable...

Arrivons aux morceaux de la deuxième face : le ton est ici différent, et ne ressemble à rien de connu. La plongée dans les abîmes débouche sur un apaisement progressif, à mesure que le propos se fait plus métaphysique : "Heart and soul / One will burn"... Ian Curtis chante d'une voix détachée, lunaire... La désincarnation amorcée avec des chansons comme "Passover" trouve ici sa pleine justification.

Les deux dernières chansons donnent à entendre un esprit flottant sur les eaux. "The Eternal" : un pauvre motif de basse introduisant un piano atmosphérique, sans mouvement... Et "Decades", extraordinaire, fait se poser sur l'habituelle ligne de basse "hookienne" un synthétiseur maladif... "Here are the young men, with weights on their shoulders. (...) Where have they been ?". A l'invitation de Martin Hannett, Curtis avait étudié la façon de chanter de Franck Sinatra avant l'enregistrement de l'album. Il en a pris la décontraction qui confine à une forme de résignation.

Curieusement, Jim Morrison (une des influences de Ian Curtis), quand il voulut chanter la fin des illusion ("Summer's Almost Gone", tout Soft Parade...) affecta aussi la désinvolture des crooners... Mais la désillusion d'un Morrison laisse des ouvertures, alors qu'il n'y a pas d'issue chez Ian Curtis. Georg Trakl : "Tous les chemins débouchent en pourriture noire"...

Closer est un album difficile, mais qui vaut la peine d'être écouté. C'est une oeuvre qui est parcourue du début à la fin par une intention esthétique évidente. On peut s'étonner qu'un jeune homme de 23 ans ait eut assez de maturité pour concrétiser aussi efficacement ses visions sans craindre la radicalité, sans tomber dans la faute de goût. Les choix ont été pertinents, à en juger par le cortège d'admirateurs et d'imitateurs que Joy Division a suscité... Il est dommage que ces derniers n'aient pas eu la même sûreté de jugement. Il n'est qu'à comparer "Decades" avec l'atroce "Cold" de Cure, dont le violoncelle et l'orgue semblent sortis d'un mauvais film d'épouvante...

Décidément, "the first is the best". Les meilleurs punks sont les pré-punks, les Stooges au premier chef. King Crimson est le seul groupe progressif qu'il ne soit pas inavouable d'apprécier. Le meilleur heavy metal est celui de Black Sabbath. Et ainsi de suite... 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr