Nonsuch n'est peut-être pas l'album le plus dense d'XTC (il faut dire qu'il réunit 17 chansons), mais c'est sans doute celui qui contient le plus de sommets. Andy Partridge (bien aidé par Colin Moolding), en plus de confirmer que son sens mélodique le hisse au rang de sauveur de la pop estampillée eighties (avec les Go-Betweens), révèle ici une science de la composition puisée dans l'étude des plus grands : Brian Wilson, Burt Bacharach, mais aussi Bach, Stravinsky...
Cet album a également l'avantage d'être le premier XTC des années 90 : la production, plus naturelle, permettra peut-être à ceux que les réverbérations de la décennie de la frime horripilent de découvrir et apprécier un groupe essentiel.
Il y en a pour tous les goûts. Il y a de l'hymnique, avec la première chanson, "The Ballad Of Peter Pumpkinhead", qui mêle riff crunchy, solos d'harmonica et choeurs entraînants. Cela dit, ces choeurs pourraient facilement évoquer à certains "Tears For Fears" : il faut bien en passer par des rivages irritants à force d'être familiers avant de "trouver du nouveau"... Dans les mêmes eaux, on mettra le "Smartest Monkeys" écrit par Colin Moulding, certainement la plus faible chanson de l'album : trop de clichés dans les paroles... Le meilleur est ailleurs.
Les amoureux de pop léchée doivent tout d'abord se précipiter sur "Humble Daisy", une pure et magnifique chanson que Partridge a écrite après une ballade dans la campagne anglaise. Du McCartney harmonisé par Brian Wilson, avec emploi savant d'accords de quinte diminuée. Laurent Voulzy a rêvé toute sa vie d'écrire de pareilles chansons...
XTC sait décidément chanter la joie innocente aussi bien que les maîtres des sixties : "My Bird Performs" de Colin Moulding (que Partridge a qualifié de "meilleure mélodie que Paul Simon n'a pas écrite") ou, mieux encore, "Dear Madam Barnum", "Holly Up On Poppy", "Then She Appeared" (les deux dernières écrites par Partridge pour sa fille)...
Exubérantes et de très haut niveau : "Crocodile", avec sa guitare électrique virevoltante, et "Omnibus" : son piano percussif, sa basse, ses cuivres sautillants... Il semblerait que Partridge ait eu l'idée de cette ligne de piano frénétique en auscultant "See Emily Play" de Pink Floyd (le tourbillon noisy> faisant office de pont). Les paroles font allusion à la vie amoureuse du guitariste Dave Gregory.
Enfin, il y a sur cet album des chansons totalement insolites. "Rook" est construit à partir d'une série d'accords hétérodoxes (à la Stravinsky) plaqués au piano. Les paroles sont tout aussi étranges... Andy Partridge a rapporté avoir pleuré après avoir composé cette chanson.
On trouve des semblables accords dans la valse "Wrapped In Grey", la chanson de l'album ayant sans doute la structure la plus complexe. Très belle chanson. Un manuel du petit Bacharach.
"The Ugly Underneath" : encore une magnifique architecture, qui s'achève sur une coda apaisée, avec un orgue imprégné de réminiscences de Bach... L'orgue se retrouve également dans "Bungalow", incontestablement la plus belle chanson que Colin Moulding ait composée sur cet album (voire dans toute sa carrière). C'est très étrange : musicalement les couplets adoptent le style "camp" (le vaudeville des Britanniques) ; ils débouchent sur d'amples refrains, pleins d'orgue, de soleil et de choeurs (magnifiques). Il est question d'un rivage marin. Cela confirme que l'inspiration se trouve davantage dans les sujets humbles (poétiques) que dans les sujets lourdement didactiques (cf "The Smartest Monkeys").
La derniière chanson, "Books Are Burning", le confirme : elle témoigne d'une bonne intention, puisqu'elle a été écrite en pensant aux autodafés de livres de Salman Rushdie commis par des psychopathes religieux ; mais les refrains vont au plus simple... On ne fait pas de bonnes chansons avec des bons sentiments.
Ne surtout pas rester sur cette dernière impression, en tous les cas ! Nonsuch regorge de bonnes chansons. La publication récente des Fuzzy Warbles (des démos variées) confirme que Patridge était en état de grâce à l'époque de Nonsuch. C'est donc un achat chaudement recommandé. Et puis, il est hors de question de se contenter de Skylarking quand on a affaire à un groupe aussi important que celui-ci...
|
|