XO - Smith, Elliott (1998)


1. "Sweet Adeline" – 3:15
2. "Tomorrow Tomorrow" – 3:07
3. "Waltz #2 (XO)" – 4:40
4. "Baby Britain" – 3:13
5. "Pitseleh" – 3:22
6. "Independence Day" – 3:04
7. "Bled White" – 3:22
8. "Waltz #1" – 3:22
9. "Amity" – 2:20
10. "Oh Well, Okay" – 2:33
11. "Bottle Up and Explode!" – 2:58
12. "A Question Mark" – 2:41
13. "Everybody Cares, Everybody Understands" – 4:25
14. "I Didn't Understand" – 2:17

 

Elliott Smith est un artiste dont on ne peut parler sans regrets.

La première raison, c'est qu'il est mort à seulement 34 ans. En 2003, presque dix ans après la mort de Kurt Cobain, après s'être ouvert la poitrine d'un coup de couteau... Depuis, c'est le grand absent, le fantôme qui hante la musique alternative américaine.

La deuxième cause de regret, c'est que sa notoriété reste confinée à un cercle d'admirateurs qui n'est pas en rapport, loin s'en faut, avec son immense talent.

Il suffit d'écouter quelques chansons d'Elliott Smith pour se rendre que cet homme-là avait un bagage musical immense et une oreille digne des plus grands. On pense souvent aux Beatles (les Beatles qu'il adorait) en écoutant Elliott Smith. C'est peut-être cela qui l'a désservi : qu'on le voie comme un imitateur des scarabées... Et pourtant, il y a une mélancolie et un ton très personnels chez lui. Rarement musique a été aussi reliée à des événements autobiographiques.

Elliott Smith aura vécu cette vie en se traînant, ayant à combattre dépressions et dépendances à l'alcool et aux drogues, certainement marqué à jamais par la violence dont son beau-père avait fait preuve à son égard (il le soupçonnait même de l'avoir violé), et aussi affecté par un dramatique manque de confiance en soi. Il s'est toujours senti inférieur aux géants de la musique qu'il admirait. Du coup, chaque fois qu'Elliott Smith livrait au monde une chanson, il faut croire qu'elle avait été longuement retravaillée et qu'elle avait passé toutes les barrières du surmoi...

Après trois albums très dépouillés, interprétés principalement à la guitare, la musique d'Elliott Smith apparut au grand jour grâce au film Good Will Hunting de Gus Van Sant. Sa chanson "Miss Misery" acquit une véritable notoriété. Il n'est pas sûr, du reste, qu'Elliott Smith le vécut bien, puisqu'il fallut beaucoup de persuasion de la part de ses proches pour le convaincre d'interpréter la chanson aux Academy Awards.

Puis ce fut ce X.O., objet de la présente notice. Il ne fait aucun doute pour moi que X.O. est le meilleur album d'Elliott Smith. Les précédents albums, beaucoup plus folk, publiés par des maisons indépendantes, ne convenaient pas à sa sensibilité pop profonde. Son univers à lui, ce sont les mélodistes et les harmonistes ; ce n'est pas Sonic Youth ni Fugazi, même s'il a débuté dans un groupe de hardcore. X.O., publié par une major (ce qui a déplu à certains de ses fans) a permis à Smith d'accomplir un pas de géant et d'ajouter à sa musique des sonorités nouvelles comme celle du piano.

Après X.O., il y aura encore Figure 8, album tout à fait respectable, mais contenant moins de moments forts. Il aura d'ailleurs un succès moindre, et sera la cause d'une rupture de contrat entre Elliott Smith et son éditeur. Le dernier album d'Elliott Smith, publié à titre posthume, est un peu son Sketches (For My Sweetheart The Drunk) : intéressant, mais sans avoir la densité des précédents.

Parlons de l'album... Je dois tout d'abord dire qu'il contient quelques-unes des chansons les plus émouvantes et les plus réussies de toutes les nineties. Citons "Sweet Adeline", "Waltz #2", "Independance Day"... On ne peut pas ne pas aimer sincèrement Elliott.

"Sweet Adeline" est introduite par une section descendante jouée à la guitare acoustique. Neil Young pourrait avoir inventé cela. Puis le refrain : une orgie de pop, avec des voix qui se superposent, un piano puissant... Quand le couplet revient, il est accompagné par une basse virevoltante du plus bel effet...

Il faut savoir qu'Elliott Smith, en-dehors de quelques rares participations d'invités, a joué seul toutes les lignes instrumentales de l'album. C'est un virtuose de la guitare sèche ; et ses interventions au piano sont magnifiques.

"Independance Day" et "Waltz #2" sont introduites par de merveilleuses mélodies jouées à la guitare. Comment ne pas voir que ces grilles d'accord sont le fait d'un compositeur prodigieusement doué ?

Elliott Smith a été confronté à l'impossibilité de faire une musique renouant avec la complexité mélodique et harmonique de l'âge d'or de la pop sans passer pour un épigone. C'est fort dommage. Des chansons aussi écorchées n'appartiennent à aucune époque.

"Waltz #2", en particulier, est une des chansons les plus touchantes que je connaisse. Apparemment, Elliott se souvient d'une scène d'enfance, quand il avait vu danser sa mère dans un bar. D'où les paroles "First the mic then a half cigarette...". Le coeur de l'album est ici, ainsi que son titre qui est contenu dans un des vers de la chanson. Pourquoi faut-il que les plus grands compositeurs de pop soient inadaptés au monde et tournés vers l'enfance ? Qu'on songe un instant à Brian Wilson... Il faut être enfant pour s'intéresser aux papillons, comme dans "Independance Day".

"Tomorrow, Tomorrow" est de la même eau que les chansons précédemment citées.

"Waltz #1" est le pendant de "Waltz #2". C'est une chanson d'automne, reposant sur des accords mélancoliques. La grosse caisse ébranle les fondations calmes de la chanson. Les souvenirs d'un amour perdu reviennent.

S'il y a un titre où le spectre des Beatles apparaît trop présent, c'est "Baby Britain". La cellule guitaristique qui la rythme est empruntée au "Getting Better" des Beatles. Cela dit, cet emprunt est justifié, car il s'agit d'un hommage. Le titre, d'ailleurs, est édifiant.

Les autres chansons notables : "Pitseleh", belle mélodie jouée à la guitare seule (avec renfort de piano dans la partie médiane) ; "Bled Whine" et "Amity", chansons qui flirtent le plus avec la power-pop ; "Waltz #1", "Everybody Cares, Everybody Understands", avec son riff joué au chamberlin ; "I Didn't Understand", chantée a capella, ce qui ne l'empêche pas d'être somptueuse. Brian Wilson n'est pas loin.

R.I.P., Elliott. La vérité, c'est que ton album X.O. peut être rangé sans rougir à côté des albums des Fab Four. Il est mélodieux de bout en bout. Et en plus de cela, il provoque parfois quelques remous dans les entrailles. 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr