Le calme après la tempête ?
Chacun des albums du Velvet explore une voie musicale différente. Celui-ci ne fait pas exception. Après deux albums aussi furieux que The Velvet Underground & Nico et White Light - White Heat, on eût pu s'attendre à un album au moins très violent, au son distordu. C'est le contraire qui se produit : l'album est intimiste, presque feutré. C'est le plus accessible du quatuor new-yorkais.
Il faut dire que la formation a changé : John Cale s'est fait virer sans ménagement en septembre 1968. Les tensions créatrices entre Cale et Reed étaient devenues trop fortes. Entre un John Cale avide d'expériences non-conventionnelles et un Lou Reed attaché au format chanson, il n'était plus possible de cohabiter.
Cale a été remplacé par Doug Yule, un bassiste de folk-rock. Sa présence explique aussi peut-être les influences folk que l'ont ressent sur certains morceaux...
En tous les cas, c'est à un album du Velvet deuxième mouture que nous avons ici affaire. Il a été enregistré très peu de temps après le départ de Cale et publié en avril 1969. La pochette est révélatrice de la nouvelle tendance : les musiciens sont affalés autour d'un divan. L'album est d'ailleurs souvent appelé "l'album au canapé". Il est sobrement intitulé "The Velvet Underground", comme pour matérialiser l'envie d'un nouveau départ.
Il émane de ce disque une chaleur particulière. Lou Reed, qui en avait assez des rodomontades, se met à nu avec une grande sincérité. Les chansons ? Des ballades douces-amères, pour la plupart, parfois teintées de mysticisme. Tout cela donne le sentiment que Reed fait le bilan de sa vie passée dans l'underground new-yorkais : et c'est un bilan noir, résolument négatif. Cela dit, cette résignation n'exclut pas la conviction de pouvoir tourner le dos à ce passé.
Nous avons parlé de ballades. "Candy Says" est la première d'entre elles, et l'une des plus belles. La douceur du chant fait contraste avec la rudesse du propos : le Candy dont il est question ici, c'est le travesti Candy Darling, peint comme un dépressif qui "en arrive à détester son corps et tout ce qu'il réclame". Le chant principal est assuré par Doug Yule, qui chante comme chanterait Reed. Les guitares, un entrelacs d'accords discrets et d'arpèges, révèlent un Velvet Underground particulièrement bien armé pour les chansons tendres. La coda voit tous les musiciens chanter en choeur, de façon presque éthérée. On retrouvera ce procédé dans "Ocean".
"Pale Blue Eyes" est sûrement l'une des chansons du Velvet Underground les plus connues : elle a tiré bien des larmes aux âmes sensibles. L'accompagnement en arpèges est, à nouveau, d'une grande subtilité. Lou Reed se souvient de son grand amour pour Shelley, qui s'est finalement mariée avec un autre.
Guitare sèche et guitare électrique se mêlent parfaitement dans cette autre ballade qu'est "Jesus", où Reed demande à Jésus de l'aider à ne pas tomber.
Reed s'avère être un admirable peintre d'ambiances. "Some Kinda Love", "That's The Story Of My Life", "I'm Set Free" (coupée par un solo assez libre, justement)... Toutes ces chansons sont particulièrement suggestives.
Les deux chansons les plus rock sont "What Goes On" et "Beginning To See The Light". "What Goes On" possède un riff de guitare très percutant et un solo extraordinaire : des guitares sonnant comme des cornemuses, sur un fond d'orgue-harmonium. "Beginning To See The Light", c'est du folk-rock nerveux, avec une excellente ligne de basse. Reed commence à voir la lumière : "du vin le matin et un petit déjeûner la nuit" (et les choses seront enfin "allright"). Chanson très écrite, avec ponts et coda.
Les morceaux les plus surprenants sont placés en fin d'album. Il y a tout d'abord "The Murder Mystery", la pièce de résistance, qui est une adaptation d'un long poème de Reed. Sur cette chanson, et seulement sur celle-là, le Velvet se souvient qu'il a été un groupe expérimental. Il y a une alternance entre une mélodie assez douce chantée par Sterling Morrison et Moe Tucker (avec accompagnement d'orgue et de guitare) sur la voie de gauche et une partie scandée, avec des voix de talkies-walkies (celles de Reed et Yule) passées sur la voie de droite. C'est évidemment la seule chanson qui puisse rebuter certains auditeurs. Pour ma part, j'apprécie, même si c'est un peu long.
Enfin, "After Hours" nous fait entendre la voix enfantine de Moe Tucker. Lou Reed, qui a composé cette jolie mélodie au côté cabaret, est à la guitare sèche.
Cet album n'est pas l'album du Velvet qui a fait le plus de bruit, au sens propre comme au sens figuré. Et pourtant c'est celui qu'on écoute le plus souvent. C'est merveille comment, réalisées avec quelques bouts de ficelle, ces dix chansons vous touchent en profondeur.
Rendons hommage à Sterling Morrison, le souffre-douleur de Reed, aujourd'hui disparu, pour la délicatesse de jeu dont il fait preuve sur cet album.
|
|