Tim Hardin... C'est un nom qu'il est incompréhensible de ne pas voir davantage en pleine lumière. J'entends souvent parler, ces temps derniers, de chanteuses folk de la fin des années 60, j'entends souvent parler de Jackson C. Frank... Chacun a son petit mérite, comme disait Brassens. Mais Tim Hardin ?
Il faut quoi, pour être réhabilité ? Du légendaire ? Il y a eu plus de malheurs que de raison autour de Tim Hardin, mort d'une overdose après des années de traversée du désert.
Entends-nous : quand je parle de réhabilitation, je n'entends pas quelques articles gentillets rendant hommage à un artisan méritant ; j'aimerais qu'on rende à Tim Hardin la place qu'il mérite : la première, aux côtés de Fred Neil et Tim Buckley.
La musique folk américaine, tendance folk-jazz, n'a en effet rien produit de mieux que ces trois-là. Bien sûr, il y a eu une autre tendance, plus militante et plus blues, dans la lignée de Dylan... Mais là, avec Fred Neil et consorts, la palette harmonique est riche, et les rythmes ne sont pas soulignés de manière binaire comme dans le blues.
Les deux premiers albums de Tim Hardin, les meilleurs (avant que le mauvais sort n'exige sa part), ont paru en 1966 et 1967. A comparer avec les disques importants de Neil et Buckley : 1966 pour l'album Fred Neil et 1967 pour Goodbye And Hello. C'est dire à quel point la musique de Tim Hardin est moderne. En dépit de son amitié avec Dylan, avec qui il s'est lié à Greenwich Village, il compose des mélodies qui n'appartiennent qu'à lui (souvent élaborées au piano avant de les adapter à la guitare) et des paroles sans esbrouffe, à la fois réalistes et intimistes.
Des deux premiers albums de Hardin, le deuxième est le meilleur. Il contient plusieurs de ses chansons les plus célèbres, et surtout il est mieux arrangé. Hardin s'était plaint de la façon dont les producteurs avaient plaqué des instruments à cordes sur les chansons du premier album.
Je viens de parler de chansons célèbres. Nommons-les : "If I Were A Carpenter", repris en France sous le titre de "Si j'étais un charpentier" par une ordure, "Black Sheep Boy" et "Lady Came From Baltimore". Ces deux derniers titres ont été popularisés par Scott Walker. Et pourtant, les versions de Scott Walker ne surpassent en rien celles de Tim Hardin : elles sont solennelles, déclamatoires, là où celles de Tim Hardin sont naturelles et sensibles. Les arrangements de cordes sont délicats, jamais boursouflés.
Quant à "If I Were A Carpenter"... Que jamais la bêtise hallidayienne ne souille cette chanson. Sur le plan sonore, c'est une merveille. Les percussions irrégulières lui donnent la liberté du jazz. Tim Hardin, qui était passé maître dans l'utilisation d'open-tunings, tire de sa guitare des sonorités qui séduisent dès la première écoute. Les amateurs de Tim Buckley seront comblés.
Dans la même veine que ces trois chansons, il y a "Red Ballons".
Je n'ai pas décrit la voix de Tim Hardin. C'est une voix qui attire immédiatement la sympathie : un peu noire, mélancolique... Le parfait instrument pour chanter des ballades.
Certaines chansons sont lentes, orchestrales ("Baby Close Its Eyes"), d'autres rapides et très guitaristiques (l'enthousiasmant "See What You Are And Get Out"). Certaines sont à deux temps ("It's Hard To Believe In Love For Long"), d'autres sont à trois temps ("Tribute To Hank Williams")...
Il y a donc une certaine diversité. Avec des constantes : qualité du songwriting et chaleur de l'interprétation. Vraiment, voilà de la folk touchante, comme on aime. Dommage que Tim Hardin, dont la voix laisse ici transparaître une telle fragilité, se soit perdu en route et n'ait pas pu donner à cet album un digne successeur.
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