Après d'innombrables écoutes des disques des Auteurs, j'en arrive à m'interroger sur moi-même : est-ce moi qui ne vais pas, qui tombe dans la complaisance... ou est-ce que Luke Haines ne ratait aucune chanson à l'époque des Auteurs ? Ce qui a suivi New Wave ne me paraît pas moins bon : Haines se débrouille toujours pour accrocher l'oreille, et les paroles sont évidemment d'un niveau supérieur à la moyenne (sens de la formule, bizarrerie : voir par exemple "Unsolved Child Murder" sur After Murder Park).
Je lis partout que le deuxième album des Auteurs serait décevant... parce qu'il ressemblerait au premier. De fait, Luke Haines ne change rien à ses méthodes pour Now I'm A Cowboy. Qu'aurait-il dû faire ? Il sait écrire des chansons, là où ses contemporains en sont bien souvent incapables ; aurait-il dû y renoncer pour produire, comme eux, une bouillie - mais une bouillie saupoudrée de style ?
Je crains fort que certains aient osé disqualifier le groupe pour de simples accointances supposées avec le glam. Certaines entrées en scène de la guitare saturée peuvent effectivement rappeler les arrangements de Mick Ronson ; mais on s'accommode fort bien de ce genre de déshonneur, il me semble !
De toutes les façons, les variations d'intensité qui traversent nombre de ces chansons (et leur donnent une dynamique constante) sont sans doute autant tributaires du grunge récent que du glam. Si Luke Haines a repris quelque chose du glam, ce n'est pas le maniérisme ; tout au plus le bellicisme anti-bourgeois. La décadence qu'il chante, il ne s'y vautre pas ; il la met à distance et la contemple insolemment, un verre de gin à la main. On parle quand même d'un terroriste du rock, pas d'une pute !
Luke Haines est un arrangeur d'exception. Il faut écouter une chanson comme "Chinese Bakery", où les guitares saturées laissent place, sans aucun hiatus, à un violoncelle et à une guitare jangly... Qu'on ne s'y trompe pas : jamais de mièvrerie ici. Les cordes se font instruments riffeurs ("Underground Movies") ; le piano devient un instrument percussif à une note ("Lenny Valentino", incontestablement la chanson la plus célèbre de l'album).
Il m'est arrivé de m'éveiller, d'entendre les sons de Luke Haines (soit énervés soit apaisés) et de m'étonner de la beauté avec laquelle ils résonnaient... Il faut aussi créditer son groupe pour cette performance ; il y a dans les couplets d'"I'm a Rich Man's Toy" une sorte de swing délicat qui n'est pas à la portée de toutes les sections rythmiques de la terre.
Quelques longueurs inutiles à la fin de "Modern History" : c'est tout ce qu'on peut reprocher à Now I'm a Cowboy, quand on le compare à New Wave.
After Murder Park, qui jouit d'une cote critique sûrement meilleure que son prédecesseur, a été produit par Steve Albini. Le son, comme on peut s'y attendre, est plus dur. La guitare lead a moins de réverb mais est plus saturée. Pour le reste, le fossé entre les deux albums n'est pas aussi grand qu'on a bien voulu le dire...
Luke Haines continue à mêler à sa sauce guitaristique claviers (Hammond notamment) et cordes (le violoncelle de James Banbury). Les chansons lentes ont toujours ce charme vénéneux qui tient pour une bonne part au timbre aigre de la voix de Haines. Il passe généralement bien plus d'air que de son à travers le larynx de cet homme-là ! On aimerait en savoir plus sur sa connaissance de la musique psychédélique (voir la fin de "New Brat in Town" ou le début de "Dead Sea Navigators")...
Le disque s'achève sur un quarté très solide, avec "Buddha" comme chef d'oeuvre : "Happy birthday brotheeer...".
Les Auteurs ont été incomparablement meilleurs que leurs rivaux de la Britpop, à commencer par Blur et Oasis. Je crois qu'il y a beaucoup à apprendre d'eux. Comment faire de la power pop, c'est-à-dire une musique représentant un compromis intéressant entre la mélodie et l'impératif scénique de la puissance, sans tomber dans le mauvais goût ? Comment intégrer totalement une guitare lead à la structure d'une chanson (à la manière du Joey Santiago des meilleures années) ?
-
D.B.